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Viens la mort on va danser

Viens la mort on va danser

Titel: Viens la mort on va danser Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Segal
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disait-il, à un gigantesque lavage de voiture où l'on
entre par un côté, couvert de merde, et l'on en ressort propre comme un pantin
vidé de ses matières et avec sa queue qui pend entre ses cuisses maigres. Une
queue qui ne pourra plus jamais faire la fière. Le soldat, le combattant est là
comme une loque numérotée, étiquetée, prête à être décorée et balancée dans la
poubelle de l'histoire. »
    Puis
il me raconta son engagement dans les Marines — il avait dix-sept ans — afin d’être
le bras droit de John Wayne au cœur du combat. Les jeux du samedi soir ne lui
suffisaient plus et, bien qu'il fût considéré comme une terreur dans son
quartier, quelque chose lui manquait. Ce quelque chose, il le prit dans la
gueule en même temps que la voix railleuse du sergent :
    «
Mesdemoiselles, je suis votre instructeur et vous m'obéirez, car si votre âme,
peut-être, vous appartient, votre cul, lui, est la propriété du corps des
Marines !... Bande d'abrutis, vous êtes là pour apprendre à obéir et devenir
des marines. Vous n'êtes que des gamines et vous m'appartenez jusqu’a la mort.
Déshabillez-vous, bande de femelles, et fermez vos gueules ! »
    Ron
aurait voulu garder la médaille que sa mère lui avait donnée pour son
anniversaire, mais la frousse qu'il avait du sergent la lui fit retirer. C'est
nu comme un ver qu'il se présenta devant le coiffeur pour perdre ses cheveux et
entrer dans la peau d'un marine.
    Cette
première journée fut terrible et, quand ils plongèrent exténués sur leur lit de
camp, la voix du sergent les y poursuivit:
    «
Vous êtes crevées, mesdemoiselles? Vous n'avez rien vu, rien enduré encore,
tout va commencer !
    —
A vos ordres ! » Aboyèrent-ils tous ensemble avant de s'effondrer.
    Les
muscles qui font mal, les oreilles qui bourdonnent, la barre au creux de la
poitrine, tout cela je le revivais au travers du récit de Ron. Je n'avais été
ni soldat ni guerrier en herbe mais, pendant de longues années, sur le tapis
couleur de paille, j'avais ahané comme un animal, faisant et refaisant pour la
millième fois la même prise, le même assaut, souvent contre un adversaire
fictif ou devant le miroir. Le maître en demandait toujours plus. « Sur son lit
de mort, disait-il, un grand maître fit son dernier tsuki et, tout en souriant, déclara : " Voilà quatre-vingts ans que je me préparais,
je crois que je le tiens à présent. " Dix ans passés dans le dojo à
fortifier mes muscles sans savoir qu'un jour mon esprit aurait à lutter dur,
très dur !... »
    Ron
se tut un long moment pendant lequel il se prépara un autre joint. Quand il
reprit le fil de sa vie, le sergent avait disparu dans la poussière et le son
de sa voix n'était plus qu'un murmure: « Il ne faut pas se demander ce que
votre pays peut faire pour vous, mais ce que vous pouvez faire pour lui! »
    Un
matin, alors qu'il se reposait dans le jardin, on vint chercher Ron pour la
parade du Mémorial Day. Deux hommes en uniforme de la Légion américaine lui
serrèrent la main.
    «
Vous êtes toujours cette brute de marine que nous avions connue à l'hôpital;
vous avez vraiment des couilles, mon vieux : l'Amérique peut être fière de
vous. »
    Ils
traversèrent la ville jusqu'à une grande esplanade où des milliers de gens,
endimanchés, attendaient en silence. Les majorettes, suivies des scouts,
défilaient au pas. L'un des deux légionnaires prit le micro et annonça de sa
voix lourde et claquante :
    «
Un de nos anciens combattants du Viêt-Nam va vous parler. Avant de lui laisser
la parole, je voudrais vous dire juste quelques mots : je crois en l'Amérique
et en sa victoire totale contre le communisme. Nous devons triompher! »
    La
foule s'était mise à crier et puis, soudain, ce fut au tour de Ron de parler.
La foule, comme une boule, lui montait dans la gorge. Ce qu'il dit, ce jour-là,
n'avait aucune importance et, d'ailleurs, la foule s'en foutait totalement.
    Quand
la nuit vint, il resta tout seul sur l'esplanade, à deux pas de son école, près
du terrain de base-ball où, quelques années auparavant, il avait, avec
quelques-uns de ses copains maintenant morts là-bas au Viêt-Nam, joué, crié et
couru jusqu’a en perdre haleine. Il regarda ses médailles, ses jambes tordues
et molles et tout doucement il se mit à pleurer : « Dieu, pourquoi ça m'est
arrivé à moi ? J'ai pas voulu ça ! Regarde-moi, je n'ai plus rien que ma
misère! Ils m'ont tout pris, tu m'entends? Tout

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