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Viens la mort on va danser

Viens la mort on va danser

Titel: Viens la mort on va danser Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Segal
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pris. J'ai donné mes jambes et
ma queue pour cette putain de démocratie. Je vous rends tout : votre Amérique,
John Wayne, ceux qui sont restés là-bas dans le marécage, mais rendez- moi mes
jambes, ma queue, rendez-les-moi et je vous foutrai la paix.»
    Il
ne rentra pas ce soir-là et, dans le bar de Richie, au coin d'El Paso Avenue,
il se soûla jusqu'à tomber de son fauteuil. Il avait pissé dans son pantalon.
Mais que lui importait d'être sale, puant et laid, puisque sa vie n'était plus
qu'un morceau de chair molle ?
    «
Ma vie se serait enlisée dans toute cette pourriture somnolente et répugnante
si, un jour de 1970 — c'était au printemps —, je n'avais entendu à la radio
l'annonce de la mort de quatre étudiants lors d'un meeting contre l'invasion du
Cambodge. Un grand rassemblement eut lieu à Washington pour protester contre
leur assassinat. J'étais exalté par l'idée de rencontrer une foule de gens
hostiles à la politique américaine; indigné d'avoir été pris dans le piège
vietnamien et d'être devenu un homme assis, rassis entre deux chaises.
    «
Le parc de La Fayette était noir de monde. Je me frayais difficilement un
chemin au milieu des boîtes de conserve et des gens allongés comme à l'heure du
pique-nique. Il n'y eut pas de discours, pas d'orateurs; seulement le bleu pâle
du ciel de printemps qui se reflétait dans l'immense bassin en face de la
Maison-Blanche. Un homme s'y baignait nu et, peu à peu, par centaines ils se
jetèrent dans l'eau. Ils s'éclaboussaient en poussant des cris, levaient la
main, les doigts largement écartés, faisaient le V de la victoire. J'étais un
peu choqué et ravi à la fois, comme un gosse qui brave son premier interdit.
Tout cela me semblait beau, fort et quelque peu enfantin. Tout à coup, la
police montée, qui se tenait à quelques centaines de mètres, se mit à charger.
Dans l'immense bassin en folie l'eau se colora de rouge. Les matraques
s'abattirent sur les crânes, les dos. Les gros yeux des chevaux se remplirent
de colère. Quelque chose dans le fond de mes tripes, là où dormaient mes rêves,
venait de se débloquer. Jamais plus je ne serais le même, tout venait d'éclater
en moi. Les images dans ma tête dansaient à en perdre haleine. Là-bas, sur le
17 e parallèle, des hommes et des femmes, nus et rieurs,
s'embrassaient sous le soleil torride, sur la berge lumineuse. Les uniformes
des guerriers n'étaient plus qu'un tas informe et ridicule. L'humanité faisait
l'amour sur le sable gris de la rizière. Le sergent de l'école de combat
rejetait tout à coup ses longs cheveux sur ses épaules et se mettait à répéter
des paroles d'Évangile.
    «
Au fond de ma poche, mes décorations sonnaient comme des pièces de monnaie —
maigre pourboire pour une telle addition. Nous n'aurons pas assez d'une vie
pour payer le prix du sang, pour payer le prix de notre mort, là-bas, dans ce
pays de miel qui n'est plus que poussière.
    «
Pendant des mois, j'ai traîné de meeting en meeting, de réunion clandestine en
conférence scolaire. Sur le mur de ma chambre, j'épinglais des messages,
papillons roses et bleus qui me parlaient d'amour et de liberté. Le militant
devenait conférencier et le témoin homme-spectacle entre deux publicités
télévisées. Mais quelque chose ne tournait plus rond. Le Viêt-Nam n'était plus
qu'une chiure de mouche sur l'uniforme de John Wayne. Nous ne refaisions plus
le monde. Les fleurs sur nos treillis se fanaient. Il me manquait le combat,
celui de la rue, face aux policiers, face à nous-mêmes, petits pantins
émasculés... Dans deux jours ce serait la réélection du président Nixon et nous
voulions frapper un grand coup... »
    Ron
s'était tu une nouvelle fois et ses yeux semblaient suivre une bataille.
    «
Depuis trois heures de l'après-midi, nous bloquons la circulation sous l'œil
impassible des flics casqués. Je vais de groupe en groupe, hurlant des slogans,
je virevolte entre les bagnoles. « Regardez bien ce que la guerre a fait de moi
! Votre « guerre de merde, foutez-vous-la dans le cul! » Un grand rouquin aux
cheveux longs s'approche du cordon de police et hurle de tous ses poumons : «
Laissez tomber, les gars ! Venez avec nous. » Il s'éloigne et s'approche de moi
: « Ça « va, mec ? Si tu veux, je te pousse. »
    «
La police a entrepris un mouvement circulaire. Je gueule quelques consignes
tandis que le grand rouquin me pousse de plus en plus fort.
    «
— Arrête-toi, lui

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