Vies des douze Césars
d’injures, sous prétexte qu’il en avait reçu un coup de pied, et ne s’en départit qu’après lui avoir extorqué cinquante mille sesterces. (5) À son arrivée, les légions mal disposées envers le prince et prêtes à une révolution, reçurent avec joie et les mains levées vers le ciel, comme un présent des dieux, le fils d’un homme qui avait été trois fois consul, encore dans la force de l’âge et d’un caractère facile et dissipateur. (6) Il venait de justifier par des preuves récentes cette ancienne opinion qu’on avait de lui, en embrassant sur toute la route les simples soldats qu’il rencontrait, en prodiguant ses caresses dans les écuries et dans les auberges aux muletiers et aux voyageurs, en demandant à chacun s’il avait déjeuné, et en rotant devant eux pour leur prouver qu’il avait déjà pris ce soin.
VIII. Son indulgence excessive pour eux. Ils le proclament empereur
(1) Une fois entré dans le camp, il ne refusa rien à personne. De lui-même il fit grâce de la flétrissure aux gens notés d’infamie, de l’appareil du deuil aux accusés, et du supplice aux condamnés. (2) Aussi un mois s’était à peine écoulé que, sans avoir égard ni au jour ni à l’heure, ses soldats l’enlevèrent subitement un soir de sa chambre à coucher, dans le costume familier où il se trouvait, et le saluèrent empereur. On le promena à travers les quartiers les plus populeux, tenant à la main l’épée de Jules César, qu’on avait tirée du temple de Mars, et qu’un soldat lui avait présentée pendant les premières félicitations. (3) Quand il revint au praetorium, il y avait dans sa salle à manger un feu de cheminée. Tous ses soldats étaient consternés et regardaient l’accident comme un mauvais présage : « Rassurez-vous, leur dit-il, c’est un feu de joie pour nous. » Ce fut toute sa harangue. (4) L’armée de la Haute-Germanie, qui avait abandonné Galba pour le sénat, s’étant prêtée à ce mouvement, Vitellius reçut avec empressement le surnom de Germanicus que lui déférait le suffrage universel. Il n’accepta pas sur-le-champ le titre d’Auguste, et refusa toujours celui de César.
IX. Il marche contre Othon
(1) Dès qu’on lui eut annoncé la mort de Galba, il mit ordre aux affaires de Germanie, et partagea ses troupes en deux corps pour envoyer l’un contre Othon, et marcher lui-même à la tête de l’autre. (2) La première division reçut un heureux présage. Un aigle parut tout à coup sur la droite, parcourut les enseignes, et précéda insensiblement les légions. (3) Au contraire lorsque Vitellius partit, les statues équestres qu’on lui avait érigées en divers lieux s’abattirent toutes en même temps et se brisèrent les jambes. Le laurier dont il avait couronné sa tête avec un soin religieux tomba dans un ruisseau. Enfin, à Vienne, tandis qu’il rendait la justice du haut de son tribunal, un coq se percha sur son épaule et ensuite sur sa tête. (4) L’événement confirma ces présages. Ses lieutenants lui donnèrent l’empire, et il manqua de force pour le garder.
X. Mort de Othon. Vitellius traverse les provinces en triomphateur. Ses soldats se livrent impunément à toutes les violences. Un de ses mots les plus atroces
(1) Il était encore dans la Gaule lorsqu’il apprit la victoire de Bédriac et la mort d’Othon. Aussitôt il licencia par un seul édit toutes les cohortes prétoriennes, comme ayant donné un détestable exemple, et leur ordonna de rendre leurs armes aux tribuns. (2) Il fit rechercher et punir de mort cent vingt soldats dont il avait trouvé les pétitions où ils réclamaient d’Othon la récompense du service qu’ils avaient rendu en faisant périr Galba. Cet acte de justice, vraiment grand et magnanime, aurait annoncé un prince accompli, si le reste de sa conduite, démentant son caractère et sa vie passée, eût répondu à la majesté de l’empire. (3) Dès le commencement de sa marche, il traversa les villes à la manière des triomphateurs, et il passa les fleuves sur les barques les plus élégantes, ornées de diverses couronnes, au milieu des apprêts des plus somptueux festins. Nul ordre ni dans sa maison ni dans son escorte. Il plaisantait des rapines et des excès de tout genre. Non contents d’un repas public qui les attendait partout, les gens de sa suite mettaient en liberté qui ils voulaient, frappant, blessant et quelquefois tuant quiconque s’opposait à
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