Vies des douze Césars
nobles Romains, ses condisciples et ses camarades qu’il avait attirés auprès de lui par les caresses les plus séduisantes, comme pour leur faire partager l’empire. Il alla jusqu’à empoisonner de sa propre main un de ses amis qui, dans un accès de fièvre, lui avait demandé une potion d’eau fraîche. (2) Il n’épargna presque aucun des usuriers, des créanciers ni des publicains qui à Rome lui avaient réclamé ce qu’il devait, ou qui, dans ses voyages, lui avaient fait payer la taxe. Il condamna l’un d’eux à mort pendant qu’il venait le saluer ; puis donna ordre qu’on le ramenât sur-le-champ. Déjà tout le monde louait sa clémence, quand il le fit exécuter devant lui, disant qu’il voulait repaître ses yeux de ce spectacle. Il associa au supplice de leur père deux fils qui s’étaient efforcés d’obtenir sa grâce. (3) Un chevalier romain qu’on traînait à la mort, s’étant écrié : « Tu es mon héritier », il le força de produire le testament ; et, quand il vit que l’affranchi de ce chevalier lui était donné pour cohéritier, il ordonna que le chevalier fût étranglé avec l’affranchi. (4) Quelques hommes du peuple furent mis à mort pour avoir médit publiquement de la faction des bleus. Il pensait qu’ils n’avaient eu cette hardiesse que par mépris pour sa personne et dans l’espoir d’une révolution. (5) Il en voulait surtout aux astrologues domestiques. Il suffisait qu’on les accusât pour qu’il les fît périr sans les entendre. Ce qui l’exaspéra contre eux, c’est qu’après son édit qui leur ordonnait de sortir de Rome et de l’Italie avant les calendes d’octobre, il parut une affiche ainsi conçue : « Salut. Les Chaldéens défendent à Vitellius Germanicus de se trouver, passé ce terme, en quelque lieu que ce soit. » (6) Il fut soupçonné aussi d’avoir avancé les jours de sa mère en la privant de nourriture, sous prétexte de maladie, sur la prédiction d’une devineresse du pays des Chattes qu’il croyait comme un oracle, et qui lui annonçait un règne long et tranquille, s’il survivait à sa mère. (7) D’autres disent que, dégoûtée du présent et effrayée de l’avenir, elle lui avait demandé du poison qu’il lui avait donné sans nulle peine.
XV. Les armées proclament Vespasien empereur. Vitellius se prépare à la guerre. Sa perfidie
(1) Le huitième mois de son règne, les légions de Mésie, de Pannonie, et, au-delà des mers, celles de Syrie et de Judée se révoltèrent ; toutes prêtèrent serment à Vespasien absent ou présent. (2) Pour conserver l’attachement et la faveur de ce qui lui restait, il ne mit aucunes bornes à ses largesses, soit au nom de l’État, soit pour son compte particulier. (3) Il ordonna des levées dans Rome, promettant aux volontaires non seulement des congés après la victoire, mais encore les récompenses accordées aux vétérans pour un service complet. (4) Pressé par ses ennemis sur terre et sur mer, il leur opposa, d’un côté, son frère avec une flotte, des milices nouvelles et des gladiateurs ; de l’autre, les troupes et les généraux qui avaient vaincu à Bédriac. Ensuite, trahi ou battu de toutes parts, il fit un traité avec Flavius Sabinus, frère de Vespasien, en stipulant sa sûreté personnelle et cent millions de sesterces. Immédiatement après, il parut sur les degrés du Palatin et déclara devant ses soldats rassemblés, qu’il renonçait à l’empire qu’il avait accepté malgré lui. Mais, sur leur réclamation générale, il différa, laissa passer une nuit, descendit, au point du jour, en habit de deuil, vers la tribune aux harangues, et, les yeux inondés de larmes, répéta, mais en la lisant, la même déclaration. (5) Le peuple et les soldats s’y opposèrent encore, l’exhortant à ne pas se laisser abattre, et lui promettant à l’envi leurs services. Encouragé par ce dévouement, il surprit par une attaque soudaine Sabinus et les autres partisans de Flavius, les poussa jusque dans le Capitole, et les étouffa en mettant le feu au temple de Jupiter. Il regardait le combat et l’incendie du haut de la maison de Tibère où il était à table. (6) Bientôt après il se repentit de cette violence, la rejeta sur d’autres, convoqua le peuple, jura et fit jurer à tous de n’avoir rien de plus cher que le repos public. (7) Alors, détachant son épée, il l’offrit au consul, et, sur son refus, à chacun des
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