Vies des douze Césars
leurs caprices. (4) En arrivant sur le champ de bataille, il dit ces mots exécrables à quelques personnes qui témoignaient leur répugnance pour l’odeur des cadavres : « Un ennemi mort sent toujours bon, surtout un concitoyen. » (5) Cependant, pour diminuer l’effet de cette exhalaison, il avala beaucoup de vin et en fit distribuer à sa suite. (6) Ce fut avec le même orgueil et la même insolence qu’à l’aspect de la pierre qui portait pour épitaphe : « À la mémoire d’Othon », il dit que ce mausolée était digne de ce prince. Il envoya à Cologne le poignard avec lequel ce prince s’était tué, et ordonna qu’il fût consacré à Mars. (7) Il célébra aussi un sacrifice nocturne sur le sommet de l’Apennin.
XI. Son entrée dans Rome. Odieux commencements de son règne. Il prend Néron pour modèle
(1) Enfin Vitellius entra dans Rome au son des trompettes, en habit guerrier, ceint de son épée, au milieu des aigles et des enseignes. Sa suite était vêtue de casaques militaires, et ses soldats avaient les armes à la main. (2) Ensuite, foulant de plus en plus aux pieds les lois divines et humaines, il prit possession du souverain pontificat le jour anniversaire de la bataille d’Allia, fit des élections pour dix ans, se déclara consul perpétuel, (3) et, afin qu’on ne doutât pas du modèle de gouvernement qu’il se proposait de suivre, il convoqua tous les prêtres au milieu du champ de Mars, et offrit un sacrifice aux mânes de Néron. Il invita publiquement un joueur de luth qui le charmait dans un splendide festin, à lui donner quelque chose des poèmes du Dominicum. Dès que le musicien eut entonné un des chants de Néron, Vitellius fut le premier à manifester sa joie par des applaudissements.
XII. Ses favoris
(1) Tels furent les commencements de ce règne, livré en grande partie aux plus viles créatures, à des histrions, à des conducteurs de chars, et surtout à l’affranchi Asiaticus, dont il suivait les conseils et les caprices. (2) Attaché à Vitellius dès sa première jeunesse par un commerce de prostitution mutuelle, Asiaticus s’enfuit de dégoût. Le prince le retrouva à Pouzzoles vendant de la piquette. Il le fit jeter dans les fers, et bientôt le délivra pour l’assujettir de nouveau à ses infâmes plaisirs. Choqué de son humeur indépendante et de son penchant au vol, il le vendit à un maître de gladiateurs ambulants ; puis, voyant qu’il était réservé pour la fin du combat, il le reprit tout à coup. Ce ne fut que lorsque Vitellius fut nommé au gouvernement d’une province qu’il lui accorda sa liberté. Le jour de son avènement au trône, il lui donna l’anneau d’or à table, quoique le matin du même jour il eût répondu à ceux qui lui demandaient cette grâce pour Asiaticus, qu’il regardait comme un abus détestable d’imprimer cette tache à l’ordre des chevaliers.
XIII. Sa gourmandise et sa voracité
(1) Ses vices favoris étaient la cruauté et la gourmandise. Il faisait régulièrement trois et quelquefois quatre repas, le petit déjeuner, le déjeuner, le dîner et l’orgie. Il suffisait à tout par l’habitude de se faire vomir. (2) Il s’annonçait le même jour chez diverses personnes, et chaque repas ne coûtait pas moins de quatre cent mille sesterces. (3) Le plus fameux fut celui que lui donna son frère à son arrivée. On y servit, dit-on, deux mille poissons des plus fins, et sept mille oiseaux. (4) Il surpassa encore cette magnificence en faisant l’inauguration d’un plat d’une grandeur énorme, qu’il appelait « l’égide de Minerve, protectrice de la ville ». (5) On y avait mêlé des foies de scares, des cervelles de faisans et de paons, des langues de flamants, des laitances de lamproies. Pour composer ce plat on avait fait courir des vaisseaux depuis le pays des Parthes jusqu’au détroit de Gadès. (6) La gloutonnerie de Vitellius était non seulement vorace, mais encore sordide et déréglée. Jamais, dans un sacrifice ou dans un voyage, il ne put s’empêcher de prendre sur l’autel et d’avaler des viandes et des gâteaux à peine retirés du feu. Le long des chemins, dans les cabarets, il s’emparait des mets encore fumants, ou dévorait ceux de la veille qui étaient à demi rongés.
XIV. Sa cruauté
(1) Toujours prêt à envoyer le premier venu à la mort ou aux supplices, sur les plus légers prétextes, il fit périr, au moyen de mille perfidies, de
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