Vies des douze Césars
opinion probable, c’est ce que rapporte Asinius Pollion, qu’à la bataille de Pharsale, César, jetant les yeux sur ses adversaires vaincus et en déroute, prononça ces propres mots : « Voilà ce qu’ils ont voulu : après tant de victoires, j’aurais été, moi Gaius César, condamné par eux, si je n’avais réclamé le secours d’une armée. » (6) Certains auteurs pensent qu’il était dominé par l’habitude du commandement, et qu’ayant pesé les forces de ses ennemis et les siennes, il avait cru devoir saisir l’occasion de s’emparer du pouvoir suprême, objet de tous ses vœux depuis sa première jeunesse. (7) Telle paraît avoir été aussi l’opinion de Cicéron, qui nous apprend, dans le troisième livre du Traité des Devoirs, que César avait sans cesse à la bouche ces vers d’Euripide, dont il nous a donné la traduction :
Pratiquez la vertu ; mais, s’il vous faut régner,
Vertu, justice et lois, sachez tout dédaigner.
XXXI. Il s’avance la nuit jusqu’au Rubicon
(1) Donc, quand il apprit qu’on n’avait tenu aucun compte de l’opposition des tribuns, et qu’eux-mêmes étaient sortis de Rome, il fit prendre aussitôt les devants à quelques cohortes, et dans le plus grand secret, pour n’éveiller aucun soupçon. Puis, pour donner le change, il assista à un spectacle public, examina le plan d’une école de gladiateurs qu’il voulait faire construire, et dîna, comme de coutume, au milieu de nombreux convives. (2) Mais, après le coucher du soleil, il fit atteler à un chariot les mulets d’une boulangerie voisine et, suivi de fort peu de monde, il prit les chemins les plus détournés. Les flambeaux s’éteignirent ; il se trompa de route et erra longtemps au hasard. Enfin, au point du jour, ayant trouvé un guide, il suivit à pied des sentiers étroits. (3) Ayant rejoint ses cohortes près du Rubicon, fleuve marquant la limite de sa province, il s’y arrêta quelques instants, et, réfléchissant aux conséquences de son entreprise : « Il est encore temps de retourner sur nos pas, dit-il à ceux qui l’entouraient ; une fois ce petit pont franchi, ce sont les armes qui décideront de tout ».
XXXII. Un prodige le détermine à passer ce fleuve
(1) Il hésitait ; un prodige le détermina. (2) Un homme d’une taille et d’une beauté remarquables apparut tout à coup, assis à peu de distance et jouant du chalumeau. Des bergers et de très nombreux soldats des postes voisins, parmi lesquels il y avait des trompettes, accoururent pour l’entendre. Il saisit l’instrument d’un de ces derniers, s’élança vers le fleuve, et, tirant d’énergiques accents de cette trompette guerrière, il se dirigea vers l’autre rive. (3) « Allons, dit alors César, allons où nous appellent les signes des dieux et l’injustice de nos ennemis : le sort en est jeté !»
XXXIII. Sa harangue et ses promesses à ses soldats
(1) Quand l’armée eut ainsi passé le fleuve, César fit paraître les tribuns du peuple, qui, chassés de Rome, étaient venus dans son camp : alors il harangua ses troupes assemblées et invoqua leur fidélité, en pleurant et en déchirant ses vêtements sur sa poitrine. (2) On crut aussi qu’il avait promis à chaque soldat le cens de l’ordre équestre. Mais ce qui donna lieu à cette erreur, (3) c’est que, dans la chaleur du discours, il montra souvent le doigt annulaire de sa main gauche, protestant qu’il était prêt à donner tout, jusqu’à son anneau, pour ceux qui défendraient sa dignité ; en sorte que les derniers rangs, plus à portée de voir que d’entendre, prêtèrent à ce geste une signification qu’il n’avait point ; et le bruit ne tarda pas à se répandre que César avait promis à ses soldats le droit de porter un anneau et les revenus des chevaliers, c’est-à-dire quatre cent mille sesterces.
XXXIV. Commencement de la guerre civile
(1) Voici, dans l’ordre des faits, le résumé de ce qu’il fit ensuite. (2) Il occupa d’abord le Picénum, l’Ombrie et l’Étrurie. Lucius Domitius, que, dans ces troubles on lui avait donné comme successeur, s’étant enfermé dans Corfinium avec une garnison, César le contraignit de se rendre à discrétion, le renvoya, et, longeant la mer Supérieure, marcha sur Brindes, où les consuls et Pompée s’étaient enfuis, dans le dessein de passer au plus tôt la mer. (3) Après avoir tout tenté inutilement pour empêcher
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