Vikings
préférez-vous vous reposer avant ? J’ai fait préparer votre cellule et je pense que vous trouverez de quoi vous rassasier à la cuisine.
— Je ne vous ferai pas attendre davantage, répondit Storman sur un ton mystérieux. Ce que je vous ramène de Normandie ne souffre aucun retard.
La curiosité du secrétaire général de l’Ahnenerbe était piquée à vif. Il précéda son visiteur dans le couloir qui menait à son bureau. Il donna au garde devant sa porte l’ordre de n’être dérangé sous aucun prétexte et invita Storman à entrer. Chaque fois que ce dernier pénétrait dans cette pièce, il commençait par lever les yeux pour contempler au mur la grande gravure représentant le site de Stonehenge. Quel dommage que ce joyau universel fut en Angleterre ! Après la victoire militaire, la SS en ferait sans nul doute un haut lieu de la mémoire européenne. Storman avait étudié les travaux remarquables d’Hermann Wirth qui avait prouvé que le site de Stonehenge célébrant la renaissance du soleil était le témoin intact d’une civilisation plus ancienne encore que celle des pharaons. Pour les tenants de l’ordre SS, il s’agissait d’une nouvelle démonstration de la supériorité des peuples des forêts sur ceux du désert.
— Alors mon cher Storman, commença Sievers. Ne me faites plus languir davantage et dites-moi : quel secret formidable cache votre mallette ?
Storman, qui n’avait pas pris la peine de s’asseoir, ouvrit les deux petits fermoirs et en extrait un paquet de papier brun. Il le déposa avec délicatesse sur la table et entreprit de le déballer avec un grand luxe de précautions. Au fur et à mesure que le papier se défaisait, l’éclat de l’or et des pierres précieuses commençait à se révéler. Mais ce ne fut que lorsque Storman eut entièrement terminé son patient déballage que la forme de l’objet prit tout son sens. Les yeux écarquillés, Sievers s’exclama :
— Un crucifix ! Vous avez trouvé un crucifix ? Mais où cela ? Dans le sarcophage de Rollon ?
— Je dirais même, répondit Storman d’un air sombre, que je n’ai découvert qu’un crucifix. Le sarcophage était totalement vide, pas l’ombre d’un os ni d’une épée. Pas la moindre pièce de monnaie ni de trace de fibule viking. Rien, sinon ce crucifix d’or et de pierres précieuses...
— Et pas d’anticroix ? demanda Sievers.
— Si elle existe, dit Storman à voix basse, elle ne se trouvait pas dans le tombeau.
Wolfram Sievers saisit l’objet avec précaution et l’examina d’un air de connaisseur.
— Remarquez, il faut reconnaître que la pièce est d’excellente facture. Par-delà son symbolisme, elle constitue même un véritable trésor de l’histoire de l’art européen.
— Le constat est indéniable, soupira Storman, mais il ne nous fait pas beaucoup progresser. Or, je reste plus que jamais convaincu que nous ne faisons pas fausse route.
Les deux hommes demeurèrent quelques longues minutes à contempler le crucifix posé sur le bureau en chêne. L’ambiance dans la pièce était pesante et ce n’était pas la photo de la famille de Sievers, entouré de sa femme et de ses fils en culotte de peau figés dans une expression martiale, qui la rendait plus gaie.
— Il ne faudrait pas que nous nous égarions à la manière d’Otto Rahn {2} murmura Storman avec gravité. Il avait fait de la quête du Graal et l’exploration du château de Montségur la raison même de son existence. Et voyez comment il a terminé. À moitié fou, dévoré par les insectes et les rats au bord d’une rivière.
— Il n’y a aucune comparaison possible, trancha Sievers avec sévérité. Le pauvre Rahn était un esprit faible, un inverti de la pire espèce qui a souillé la SS qui lui avait pourtant témoigné toute sa confiance. Sa regrettable histoire constitue une preuve supplémentaire que nous ne pouvons pas admettre la moindre trace de faiblesse au sein de nos rangs.
Sievers se releva. D’un geste nerveux de la main, il pria Storman de remballer le crucifix. Il fit quelques pas vers le mur opposé et contempla le portrait du Führer dont la tête se détachait sur une carte du Reich. Il commença à répéter à basse voix «nein, nein, nein... », puis il haussa le ton.
— Nein, cria-t-il. Nous ne poursuivons pas une chimère. Notre Führer nous a confié la mission glorieuse d’ouvrir les yeux du monde sur la vérité et de tordre le cou une
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