Vikings
retourner l’assistance à son avantage.
— Mes frères, s’écria-t-il, vous avez entendu votre chef ? Il se trompe : les Vikings n’ont pas besoin de s’arrêter, ils doivent poursuivre leur route ! Vous connaissez ma demande. N’est-il pas temps de faire appel à l’Arme de Dieu pour combattre nos ennemis, leur faire rendre gorge et piller leurs richesses ?
Un vieil homme se leva dans l’assistance. On l’appelait Holmfrid le Faible, bien qu’il fût un véritable colosse dans sa jeunesse. Sa réputation de sagesse était grande et nombreux étaient ceux qui réservaient leur jugement tant qu’ils ne l’avaient pas entendu.
— Hròlfr, fit-il de sa voix éraillée, ta décision nous paraît bonne pour notre peuple, mais comment peux-tu être sûr que le roi Charles acceptera de négocier avec nous ? Surtout après notre défaite devant Chartres...
Hròlfr le Marcheur fut soulagé. La question de Holmfrid prouvait que son discours avait été entendu par son peuple. Il conserva son expression solennelle pour lui répondre.
— Au moment où je te parle, des émissaires travaillent pour nous à la cour de France, répondit-il. D’après eux, le roi Charles aurait déjà accepté le marché que nous lui proposons.
Skirnir sentait que chaque minute qui passait représentait un appui perdu à sa cause. Il tenta dès lors le tout pour le tout et demanda au Thing de voter à main levée pour le recours à l’Arme de Dieu. Sur toute l’assemblée, ils ne furent que sept hommes à répondre favorablement à son souhait. Fou de rage, Skirnir jeta sa corne à terre. Il regarda l’assemblée avec mépris et leur cria :
— Vous venez de trahir vos dieux ! Sachez que leur vengeance sera terrible. Vous subirez un jour le châtiment que vous méritez.
Hròlfr regarda son cousin s’éloigner. Il se fit servir une autre corne de bière et se dit qu’il ne restait plus à présent qu’à conclure le traité. Et ce serait en vainqueur qu’il négocierait avec son pire ennemi.
Livre Sixième
I L EST DES SPECTACLES dont l’oeil ne se lasse pas. Il avait suffi de quelques minutes de patience pour que le rayon de soleil traversât la fenêtre latérale et s’introduisît dans le choeur de l’église. Porté par la douceur matinale de ce beau mois de mai, le rai lumineux s’en vint caresser la figure du Christ en croix suspendu à la poutre de la gloire de la croisée du transept. Chaque fois que l’occasion lui en était offerte, l’archevêque de Reims se plaisait à venir dans son église à cette heure matinale. Hervé éprouvait le sentiment unique et presque jubilatoire d’assister à la renaissance du Seigneur, chaque jour répétée et néanmoins chaque jour différente.
Dès que le petit miracle quotidien eut lieu, il se retira dans la sacristie où son cuisinier lui avait préparé un solide viatique pour entamer la journée. L’archevêque n’était point homme à se contenter des nourritures spirituelles, il succombait volontiers au péché de gourmandise et sa formidable gloutonnerie était, disait-on, célèbre jusqu’aux palais et aux églises de Rome. La satisfaction se lut sur son visage lorsqu’il découvrit le festin qu’on lui avait préparé : cuisses de poulet mijotées aux pommes rouges, gruau d’avoine, pain de seigle, miel du rucher de l’abbaye, fromage à pâte dure, vin de la vigne de l’évêché ; rien ne manquait pour le mettre de bonne humeur. Il était d’autant plus satisfait qu’il avait réussi à ne point songer à l’entrevue qu’il devait avoir avec le Roi.
Entre les deux hommes, il n’y avait certes jamais eu beaucoup de sympathie, mais au fil des années, ce sentiment de froide indifférence s’était mué en méfiance. L’autorité de Charles était de plus en plus contestée par ses barons. Nombreux étaient ceux qui lui reprochaient son manque de poigne ainsi que sa trop grande propension à se laisser gouverner par ses désirs, plutôt que de mener convenablement les affaires de l’État.
L’archevêque Hervé mordit à pleines dents dans une deuxième cuisse de poulet tandis qu’il nourrissait ces pensées accusatrices à l’égard de son souverain. Après tout, il y avait un temps pour tout dans la vie : un pour le plaisir et un autre pour le devoir. Et si le Roi lui-même n’en était pas conscient, il fallait vraiment que sa famille ne fût plus que l’ombre de ce qu’elle avait été. En soupirant,
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