Vikings
quelques passages écrits en latin dans le livre. C’est difficile à voir à l’oeil nu, mais si j’en juge par l’examen que j’ai fait à la loupe, les encres ne sont pas identiques. Et je ne serais pas étonné que ces écritures latines soient postérieures aux runes. Une note en page d’ouverture stipule qu’il s’agit de l’« Evangeliaris Rouensis », l’évangéliaire de Rouen. Mais il y a plus étrange encore et c’est là que je ne comprends pas...
— Tu ne comprends pas quoi ? interrompit cette fois de son propre chef Joséphine qui paraissait de plus en plus intéressée.
— À la fin du recueil, sur une page qui devait être vierge à l’origine, il y a un étrange tableau qui ressemble à un tableau de correspondance. Il établit des rapports entre cinq lettres latines et cinq runes, mais il n’obéit à aucune logique apparente parce qu’une pareille conversion n’existe pas. Regarde :
Je me creuse la tête depuis des heures sur cette page et je n’arrive pas à y voir clair.
Joséphine prit le livre et se plongea à son tour dans cette page. Elle passa en revue toutes ces lettres et ces signes qui, pour elle, n’avaient pas plus de signification que le chinois.
— Et puis, il y a cette petite inscription rédigée en bas de la page de titre... Regarde :
Cela pourrait ressembler à un code mais pas avec ces runes... Cela ne rime à rien. À mon avis, il s’agit de caractères issus du premier alphabet runique, le futhark, qui remonte environ au IV e siècle. Plus tard, il connut une version simplifiée et passa de vingt-quatre à seize signes.
La jeune fille s’approcha de la page et plissa les yeux.
— Regarde, dit-elle d’une voix basse qui traduisait sa réflexion. Ce qui est bizarre, ce sont ces lignes. Le petit chapeau, là, et peut-être aussi ce trait, là.
— Mais oui, ce sont des runes, répondit sèchement Le Bihan. Je m’échine à t’expliquer qu’il s’agit d’une écriture.
— Je ne suis pas stupide, répondit Joséphine vexée. Je te dis seulement que ces traits ont été ajoutés après, pour je ne sais quelle raison. On voit bien que tu n’as jamais modifié tes carnets de notes. Moi, j’étais passée experte dans l’art de transformer un zéro en 6 ou un 4 en 7... C’est une simple question de pratique.
— Attends, dit le jeune homme subitement intéressé. Tu me parles donc de la barre de la rune d’Odalet de la pointe de flèche de la rune de Tyr. Ce qui reviendrait à avoir un X et un L... Mais alors, la rune de Mannpourrait être un M et la rune de Is,serait un simple I. Quant à la rune de Ken, elle ressemblerait à un V penché. Attends, tout cela donnerait ces cinq lettres : M-L-X-V-I... Donc MLXVI comme 1066. Bon sang !
Joséphine s’octroya une nouvelle part de gâteau pour célébrer la victoire archéologique qu’elle venait de remporter. Arrivée à ce stade, elle ne pouvait plus aider son compagnon.
— 1066 ! s’exclama Le Bihan. Tu te rends compte ? C’est l’année du passage de la comète de Halley !
— La comète ? répondit Joséphine. Et pourquoi pas un voyage sur la Lune tant que tu y es ?
— Tu ne comprends pas, poursuivit l’historien avec enthousiasme. 1066, c’est aussi l’année de la conquête de l’Angleterre par Guillaume le Conquérant, le descendant direct de Rollon, le premier duc de Normandie.
— Ah, s’exclama-t-elle, cela je le sais. On est allé ficher une dérouillée aux rosbifs en tuant leur roi George ou Édouard, je ne sais plus. Ce jour-là, je devais être au cours pour m’en souvenir aussi bien !
— Pas George ni Édouard, c’était Harold, rectifia Le Bihan. Si je reprends le raisonnement, l’Évangéliaire date du règne de Rollon, disons de 911 pour faire court. Quant aux écritures postérieures, elles doivent dater de cent cinquante ans plus tard, en 1066. Mais tout cela reste dans la même famille, celle des ducs de Normandie.
Joséphine se frotta les mains à une serviette et fit une moue dubitative.
— Très bien, dit-elle, et tout cela nous avance à quoi ?
Le Bihan se leva et prit la jeune fille par les bras comme s’il allait lui demander quelque chose de très important.
— Joséphine, tu dois m’aider, dit-il avec gravité. Je dois absolument examiner la tapisserie de Bayeux. Mais pas une copie quelconque, l’originale. Je dois l’examiner avec la plus grande précision.
Au même moment, à la Kommandantur de Rouen,
Weitere Kostenlose Bücher