Vikings
comme l’air. Sise rue du Beffroy, l’antre du jeune homme avait des dimensions raisonnables et on aurait même pu s’y trouver à l’aise s’il ne servait pas à entreposer un nombre hallucinant d’objets qui ne présentaient plus le moindre intérêt. Vieilles roues de bicyclette dépourvues de la moitié de leurs rayons, amoncellement de cageots servant au stockage de pommes, bouteilles vides mais recouvertes de poussière en guise de souvenir des heures d’abondance d’avant-guerre constituaient le décor de la cachette souterraine. Heureusement, Le Bihan avait pu aménager un petit espace pour dormir coincé entre deux empilements de casiers et surtout, il avait obtenu une table, une chaise et une lampe pour poursuivre ses recherches. Avec un peu d’imagination, son terrier serait devenu une annexe de la Bibliothèque nationale...
— Bonjour, Pierre, dit-elle avec bonne humeur. Je t’ai apporté une part de gâteau au beurre. Attention, profites-en, car au rythme où vont les choses, nous devrons bientôt les préparer aux topinambours et à la graisse de chat.
— Tu as trouvé l’ouvrage de von List que je t’avais demandé ? lui répondit-il sans regarder la pâtisserie.
— Tu es sacrément culotté, lâcha-t-elle en perdant son sourire. Je me crève à courir cette ville dans tous les sens pour trouver ce que Monsieur désire. Je nourris Monsieur. Je subis les mauvaises humeurs de Monsieur. Je ne contrarie jamais Monsieur... Tu as déjà pensé que je pourrais finir par en avoir assez ?
— Non, lâcha-t-il avec ironie. Parce que tu as besoin de moi, toi et ton prétendu réseau...
Cette fois, Joséphine était vraiment piquée à vif. Elle jeta le gâteau sur la table et haussa la voix.
— Moi et mon « prétendu » réseau ? Quel culot, Le Bihan ! Si tu n’avais pas eu mon « prétendu » réseau avec toi, tu n’aurais pas trouvé un endroit sûr pour te protéger des Boches qui sont à tes fesses.
— Oui, mais si je ne vous avais pas rencontrés, je n’aurais pas eu de problème, répliqua-t-il du tac au tac.
— Bien sûr, répondit Joséphine avec une pointe de mépris. Nul ne peut t’obliger à aimer ton pays. Dans toutes les guerres, il y a les héros d’un côté et les lâches de l’autre.
Le Bihan se leva et s’approcha de Joséphine. Il lui caressa les cheveux avec douceur et elle ne l’empêcha pas de le faire.
— Pardonne-moi, murmura le jeune homme. Je suis nerveux, car je n’arrive pas à percer le secret de ce satané bouquin. Et pourtant, j’ai l’impression que la clé de toute cette histoire s’y trouve contenue.
Joséphine tira une chaise et s’assit à la table. Elle ouvrit le paquet et s’empara d’un morceau de gâteau qu’elle porta à la bouche avec une délicieuse expression de gourmandise.
— D’accord, Monsieur le Professeur, dit-elle la bouche pleine de pâtisserie au beurre. Alors, expliquez-moi tout. Il me semble que j’ai quelques cours à rattraper.
Le Bihan retrouva le sourire. Il s’assit à son tour et tira le grimoire vers lui pour éviter que Joséphine n’y fît des taches de graisse avec son gâteau normand.
— Tu as devant toi une pièce unique, commença-t-il comme s’il était devant une classe d’étudiants attentifs. Il s’agit d’un évangéliaire, a priori traditionnel, mais qui se distingue pourtant de tous les évangéliaires connus. Celui-ci est rédigé en runes, c’est-à-dire l’ancienne écriture des Vikings. Je n’en connais pas d’autres exemples et pourtant, Dieu sait combien j’en ai étudié pendant mes études. En fait, l’ouvrage est un incunable enluminé par des lettres, probablement recopiées par des moines. Il est vraisemblablement antérieur à l’invention de l’imprimerie. Selon mes observations et mes connaissances, j’inclinerais pour une datation autour du X e siècle, à l’époque où les Vikings de Rollon se sont établis dans la région et qu’une bonne partie d’entre eux ne possédait pas encore l’alphabet latin. Probablement ont-ils voulu réaliser une édition destinée aux hommes du Nord pour faciliter leur conversion. Mais tu vas sûrement me demander comment je sais que l’évangéliaire est normand...
— Euh... non, enfin oui, balbutia Joséphine qui ne s’attendait pas à être interrogée en cours d’exposé.
— Eh bien, c’est simple, poursuivit Le Bihan. Enfin, c’est à la fois simple et compliqué. Je t’explique. Il y
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