Voltaire
apôtre : « J' ai fait plus en mon temps, dira-t-il, que Luther et Calvin. » Et aussi : « Je suis las de leur entendrerépéter que douze hommes ont suffi pour rétablir le christianisme et j'ai envie de leur prouver qu'il n'en faut qu'un pour le détruire. » Presque toutes ses lettres se terminent par la formule : « Ecrasons l'infâme », qu'il écrit, par naïve prudence : « Ecr. l'inf. » Qui est l'infâme? La religion? L'Eglise? Plus exactement la superstition. Il la poursuit parce qu'il en a souffert et parce qu'il croit que le fanatisme rend les hommes plus malheureux qu'il ne serait nécessaire.
Une grande partie de l'œuvre de Voltaire à Ferney est donc destructive. Il veut prouver : a) qu'il est absurde de penser qu'un Dieu tout-puissant, créateur du ciel et de la terre, a choisi les Juifs, petite tribu de Bédouins nomades, pour en faire son peuple élu ; b) que la chronique de ce peuple (la Bible) est remplie de faits incroyables, d'obscénités et de contradictions (il prend la peine de publier sous le titre de La Bible expliquée un texte revu du Livre, chargé de notes innombrables) ; c) enfin, que les disputes des sectes qui se sont égorgées pour des mots depuis dix-huit siècles sont folles et vaines.
Cette critique voltairienne a été justement critiquée à son tour. On a dit que Voltaire manquait de mesure, de sympathie, et que, d'ailleurs, sa propre science historique était souvent en défaut. Tout cela est vrai et Voltaire lui-même s'efforçait parfois d'être plus équitable. « On ne saurait trop répéter, disait-il alors, qu'il ne faut pas juger de ces siècles par notre siècle, ni des Juifs par les Français et par les Anglais. » Si on accepte de voir dans la Bible un recueil de légendes composé par des tribus barbares, alors il est prêt à reconnaître qu'elle est « captivante comme Homère ». Si on prétend y trouver la parole divine et des pensées surhumaines, alors il revendique le droit de citer les Prophètes et de montrer leur cruauté.
Quelle est la philosophie positive de Voltaire ? Elle est un agnosticisme tempéré par un déisme. « Il est naturel de reconnaître un Dieu dès qu'on ouvre les yeux... L'ouvrage annonce l'ouvrier. C'est par un art admirable que toutes les planètes dansent autour du soleil. Animaux, végétaux, minéraux, tout est arrangé avec mesure, nombre, mouvement. Personne ne doute qu'un paysage peint ou des animaux dessinés ne soient des ouvrages d'artistes habiles. Se pourrait-il que les copies fussent d'une intelligence et que les originaux n'en fussent pas ? »
Sur la nature de Dieu, il a peu de choses à nous enseigner. « Des fanatiques nous disent - Dieu vint en tel temps; dans une petite bourgade Dieu prêcha et il endurcit le cœur de ses auditeurs afin qu'ils ne crussent point en lui ; il leur parla et il boucha leurs oreilles. - La terre entière doit rire de ces fanatiques. J'en dirai autant de tous les Dieux qu'on a inventés. Je ne ferai pas plus de grâce aux monstres de l'Inde qu'aux monstres de l'Egypte. - Je plaindrai toutes les nations qui ont abandonné le Dieu universel pour tant de fantômes de Dieux particuliers. »
Que faut-il donc croire? C'est assez vague. « Le grand nom de théiste est le seul nom qu'on doive prendre ; le seul évangile qu'on doive lire, c'est le grand livre de la nature. La seule religion est d'adorer Dieu et d'être honnête homme. Il est impossible que cette religion pure et éternelle produise du mal. » Il semble en effet difficile que ce théisme produise du mal, mais peut-il produire beaucoup de bien? On ne comprend pas comment une croyance aussi abstraite supportera une morale et, en fait, la morale de Voltaire est purement humaine. « Oui, mort Dieu ! je sers Dieu, car j'aime ma patrie, car je vais à la messe tous les dimanches,car j'établis des écoles, car je vais établir un hôpital, car il n'y a plus de pauvres chez moi en dépit du Commis des gabelles. Oui, je sers Dieu, je crois en Dieu, et je veux qu'on le sache. » On le sait, mais cette manière de servir Dieu est d'un bon intendant plutôt que d'un mystique.
Théiste de nom, humaniste de fait, voilà Voltaire. Dès qu'il veut justifier sérieusement un précepte de morale, il le fait par l'idée de la société. D'ailleurs, puisque Dieu est partout, la morale est dans la nature. « Il y a du divin dans une puce. » En tous temps et en tous lieux, l'homme a trouvé dans son cœur une morale unique. Socrate, Jésus et
Weitere Kostenlose Bücher