Voltaire
retraite de Ferney était fort peuplée. Voltaire avait écrit que les sages se retirent dans la solitude et qu'ils y sèchent d'ennui. Il ne connut à Ferney ni l'ennui, ni la solitude. Autour de lui vivaient d'abord ses deux nièces, Mme Denis, « une petite grosse femme toute ronde,d'environ cinquante ans, femme comme on ne l'est point, laide et bonne, menteuse sans le vouloir et sans méchanceté; n'ayant pas d'esprit et en paraissant avoir; criant, décidant, politiquant, versifiant, raisonnant, déraisonnant; et tout cela sans trop de prétentions et surtout sans choquer personne ». Voltaire avait acheté Ferney au nom de Mme Denis sous condition qu'elle lui signerait une contre-lettre pour l'usufruit; l'achat fait, elle refusa de signer la lettre, non pour chasser son oncle, mais pour le tenir à sa merci, ce qui fut l'origine d'une grande querelle. L'autre nièce, Mme de Fontaine, plus tendre et plus facile, aimait surtout la peinture et remplissait la maison de belles nudités, d'après Natoire et Boucher « pour ragaillardir la vieillesse de son oncle ». Il y prenait goût. « Il faut faire copier au Palais-Royal, lui écrivait-il, ce qu'on trouvera de plus beau et de plus immodeste. »
Les nièces allaient et venaient ; les hôtes permanents étaient un secrétaire, le fidèle Wagnière, et un Jésuite, le Père Adam. On ne sera pas surpris de trouver un Jésuite dans la vieillesse de Voltaire. Au fond, il avait toujours gardé quelque faiblesse pour les Révérends Pères qui l'avaient si joliment élevé. Le Père Adam, grand joueur d'échecs, faisait chaque jour la partie de Voltaire. « Ce Père, disait celui-ci, n'est pas le premier homme du monde, mais il entend très bien la marche de ce jeu. » Quand le religieux gagnait, Voltaire renversait l'échiquier. « Passer deux heures à remuer de petits morceaux de bois ! criait-il. On aurait fait une scène de tragédie pendant ce temps-là. » Quand il gagnait, il finissait la partie.
C'était le Père qui lui disait sa messe, car un des premiers actes de Voltaire à Ferney avait été d'y construire une église. Sur le fronton, on lisait l'inscription : Deo erexit Voltaire. « Deux grands noms », disaient les visiteurs. Voltaire s'était fait construire un tombeau, qui se trouvait à moitié dans l'église et à moitié dans le cimetière. « Les malins, expliquait-il, diront que je ne suis ni dedans, ni dehors. » Il avait aussi bâti une salle de spectacle. « Si vous rencontrez quelques dévots, dites-leur que j'ai achevé une église; si vous rencontrez des gens aimables, dites-leur que j'ai achevé mon théâtre. »
Deux jeunes filles, l'une après l'autre, rajeunirent le château. La première était une nièce de Corneille, recueillie par Voltaire en mémoire du poète. « Il convient, avait-il dit, qu'un vieux soldat du grand Corneille tâche d'être utile à la petite-fille de son général. » Il composa pour la doter un commentaire des pièces de Corneille qui fut vendu à son profit et il finit par la marier avec un sieur Dupuits. M. de Boufflers disait d'elle qu'elle tenait plus d'une corneille que du grand Corneille et le Prince de Ligne qu'elle était nigra sed non formosa . La seconde était une demoiselle de Varicourt, fille noble mais pauvre, aimable et « d'un embonpoint très charmant ». Voltaire l'avait baptisée : Belle et Bonne. « Vous me mettez bien avec moi-même, disait-il, je ne puis me fâcher devant vous. » Le matin, lorsqu'elle entrait dans sa chambre, il lui criait : « Bonjour, belle nature. » Elle répondait : « Bonjour, mon dieu tutélaire », et lui sautait au cou. « Ah ! Mademoiselle, s'écriait-il alors, c'est la Vie et la Mort qui s'embrassent » Mais la Mort ne détestait pas ces contacts. Plus tard, il la maria au marquis de Villette et elle lui demeura toujours dévouée.
Comme aux Délices, il menait à Ferney l'existence la plus active. Ce n'était pas seulement travaux littéraires. Il bâtissait, il plantait, « seuls actes, disait-il, qui consolent la vieillesse ». La terre nourrissait les trente personneset les douze chevaux de sa maison. Du matin au soir (il se levait à cinq heures et se couchait à dix) il s'occupait de ses travaux d'agriculture et de son haras (il faisait des essais malheureux pour améliorer la race chevaline) ; il recevait les innombrables visiteurs qui se présentaient; il écrivait et dictait une correspondance infinie, des brochures, des contes, des pièces de
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