Voltaire
Confucius n'ont pas la même métaphysique, mais ils ont à peu près la même morale. Répondant à Pascal, qui trouve « plaisant » que des hommes ayant renoncé à toutes les lois de Dieu, comme les voleurs, s'en soient faites d'autres auxquelles ils obéissent exactement, Voltaire écrit : « Cela est plus utile que plaisant à considérer; car cela prouve que nulle société d'hommes ne peut subsister un seul jour sans lois. Il en est de toute société comme du jeu; il n'y en a point sans règles. » Ici l'historien a vu juste et indiqué, d'une phrase pénétrante, ce que décriront de notre temps les observateurs des sociétés primitives.
On a jugé sévèrement cette philosophie voltairienne. Faguet la définissait : « Un chaos d'idées claires. » Taine disait : « Il rapetisse les grandes choses à force de les rendre accessibles. » On pense à ce mot d'une femme : « Ce que je ne lui pardonne pas, c'est de m'avoir fait comprendre si bien les choses que je ne comprendrai jamais. » Il est certain qu'un système parfaitement clair a peu de chances d'être une image vraie d'un monde obscur.
Voltaire lui-même a indiqué mieux que personne, enses jours de franchise, les limites de la clarté et ce qu'il y a, dans les destinées humaines, de folie et de confusion. Que ceux qui en doutent relisent dans le Dictionnaire Philosophique la seconde section de l'article Ignorance : « J'ignore comment j'ai été formé et comment je suis né. J'ai ignoré absolument pendant le quart de ma vie les raisons de tout ce que j'ai vu, entendu et senti, et je n'ai été qu'un perroquet sifflé par d'autres perroquets... Quand j'ai voulu marcher dans cette carrière infinie, je n'ai pu ni trouver un seul sentier, ni découvrir pleinement un seul objet et, du saut que j'ai fait pour contempler l'éternité, je suis retombé dans l'abîme de mon ignorance. » Ici, Voltaire rejoint Pascal, mais à mi-chemin, et ce Voltaire inquiet est le meilleur Voltaire, car c'est le Voltaire de Candide.
XVII
Œuvres mineures
Voltaire, à Ferney, travailla beaucoup et produisit la part la plus importante de son œuvre. Ce fut là qu'il termina et publia les grands travaux commencés à Cirey et à Berlin : l 'Essai sur les mœurs, l 'Histoire de la Russie sous Pierre le Grand, et le Dictionnaire Philosophique. De l 'Essai, nous avons parlé; le Dictionnaire est un recueil de notes rangées par note alphabétique ; seule la doctrine fait son unité. L'idée en avait été suggérée à Voltaire au cours d'un souper chez le Roi de Prusse. Elle devait plaire à un homme qui aimait à parler de tout et qui n'aimait pas à « composer », au sens oratoire du XVII e siècle.
On a écrit une Histoire de la clarté française ; il serait utile d'esquisser une Histoire de la folie française et des œuvres non composées. Elle réunirait les Essais de Montaigne, les Caractères de La Bruyère, le Dictionnaire de Voltaire et les Analecta de Paul Valéry. L 'Essai sur les mœurs lui-même n'est qu'une sorte d'encyclopédie dont les articles sont placés dans un ordre chronologique. La « forme dictionnaire » convenait si bien à Voltaire qu'il y recourut plusieurs fois. En1764 parut un premier volume : le Dictionnaire philosophique portatif. Il fut condamné et brûlé par le bourreau. Puis vinrent les Questions sur l'Encyclopédie, enfin l 'Opinion par Alphabet. Le tout fut fondu, après la mort de Voltaire, dans le Dictionnaire philosophique de l'édition de Kehl. On y trouve des anecdotes, de la théologie, des sciences, de l'histoire, de la musique, des vers, des dialogues.
A Ferney, Voltaire écrivit aussi de nombreux contes philosophiques et plusieurs d'entre eux, sans atteindre à la perfection de Candide, sont amusants et profonds. Il faut lire Jeannot et Colin, qui est une naïve et agréable satire des riches ; l 'Homme aux quarante écus, pamphlet économique plus que roman; l 'Histoire de Jenni, qui commence par un chapitre du meilleur Voltaire; puis l 'Ingénu, la Princesse de Babylone, le Taureau blanc ; et enfin Blanc et noir, qui a un peu de la poésie de Candide sans en avoir tout à fait la force.
Mais la plus grande partie de cette production se compose des pamphlets, brochures et dialogues qui ont fait de Voltaire (avec Addison) le plus grand journaliste que les hommes aient connu. Pour exposer ses idées et pour railler celles de ses adversaires, il crée tout un peuple de marionnettes. Tantôt ce sont les lettres d'un
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