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Voltaire

Voltaire

Titel: Voltaire Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: André Maurois
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servante. Enfin comment un vieillard aurait-il pu maîtriser et pendre malgré lui un jeune homme vigoureux? Il eût fallu admettre la complicité de toute la famille et de l'hôte. Peut-on imaginer un père, une mère et des frères assemblés pour tuer l'un des leurs? D'ailleurs aucun témoignage sérieux ne prouvait même que la victime eût souhaité d'abjurer. Mais l'affaire tomba entre les mains d'un magistrat passionné. Les dévots s'en mêlèrent. On fit un service solennel à Marc-Antoine, dans une église tendue de blanc, au milieu de laquelle on avait pendu un squelette prêté par un chirurgien. Ce squelette tenait dans une main un papier : « Abjuration contre l'hérésie », dans l'autre une palme, emblème de son martyre.
    L'affaire alla au Parlement de Toulouse. Tous les Calas, arrêtés, furent interrogés séparément. Tous soutinrent la vérité de leur premier récit. Par huit voix contre cinq, le père fut condamné à mourir sur la roue, son fils Pierre banni, les autres remis en liberté. Jugement aussi sot que cruel, car, ou toute la famille était complice, ou elle était tout entière innocente. Le vieux Calas soutint les horreurs de la question avec une constance admirable. Interrogé sur ses complices, il necessa de répondre : « Hélas ! où il n'y a pas de crime, peut-il y avoir des complices ? »
    Enfin il fut supplicié. Le bourreau lui brisa les os des membres et de la poitrine à coups de barre de fer. Puis, on l'attacha sur la roue, pour y mourir lentement et être ensuite brûlé. Au Père qui était près de lui, il dit : « Je meurs innocent; Jésus-Christ qui était l'innocence même a bien voulu mourir par un supplice plus cruel encore. Je n'ai point de regret à une vie dont la fin va, je l'espère, me conduire à un bonheur éternel. Je plains mon épouse et mon fils ; mais ce pauvre étranger à qui je croyais faire politesse en le priant à souper augmente encore mes regrets... » « Les religieux catholiques qui l'avaient assisté ne doutèrent point de son innocence et dirent que, bien que protestant, il était mort comme un martyr. »
    Cette histoire étonna beaucoup Voltaire. Le crime reproché aux Calas lui semblait invraisemblable, mais il avait peine à croire à tant de méchanceté chez les magistrats de Toulouse. Il se trouva qu'une partie de la famille Calas s'était réfugiée près de Ferney, à Genève ; il se la fit amener et, après les avoir interrogés plusieurs fois, ne douta plus de leur innocence. A partir de ce moment et pendant quatre ans, la réhabilitation des Calas devint la grande tâche de sa vie. Il intéressa à leur cause le duc de Choiseul. Le Roi de Prusse, l'Impératrice Catherine, mis en mouvement par lui, s'agitèrent en faveur des Calas. Toute l'Europe prit parti, si bien qu'enfin Voltaire obtint la révision du procès, « malgré quelques personnes dévotes qui soutenaient hautement qu'il valait mieux laisser rouer un vieux calviniste innocent que d'exposer huit conseillers de Languedoc à convenir qu'ils s'étaient trompés. Il y eut même des gens pour dire : "Il y a plus de magistrats que de Calas", et pour conclure de là que la famille Calasdevait être immolée à l'honneur de la magistrature. On ne comprenait pas que l'honneur des juges consiste, comme celui des autres hommes, à réparer leurs torts ».

    Le Parlement de Paris évoqua l'affaire et se conduisit bien. L'arrêt de Toulouse fut cassé au printemps de 1766. Ce fut un jour de fête dans Paris. « On s'attroupait sur les places publiques. On accourait pour voir cette famille si malheureuse et si bien justifiée. On battait des mains en voyant passer les juges; on les comblait de bénédictions. Ce qui rendait encore ce spectacle plus touchant, c'est que ce jour, 9 mars, était celui où Calas, trois ans auparavant, avait péri par les plus cruels supplices. » Le roi accorda trente-six mille livres, à titre de réparation, à la veuve du malheureux Calas, et Voltaire écrivit un Traité de la Tolérance pour démontrer que tout homme a le droit d'avoir et d'exprimer telle opinion qui lui semble juste, pourvu qu'il ne trouble pas l'ordre public. « Si vous voulez ressembler à Jésus-Christ, concluait-il, soyez martyrs et non pas bourreaux. »
    Vérités élémentaires, mais qu'il était nécessaire de répéter et même, comme il disait, de rabâcher, tant qu'une affaire Calas était possible. Cette affaire et celle des Sirven, autre famille protestante de

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