Voltaire
Sur le même bûcher que le Chevalier de La Barre, on fit brûler le Dictionnaire Philosophique de Voltaire.
De telles horreurs arrachaient Voltaire à son ironie et à ses ricanements. Le conseiller Pasquier avait dit au Parlement que les jeunes gens d'Abbeville avaient puisé leur impiété dans les ouvrages de philosophes modernes et il avait nommé Voltaire. Celui-ci fut effrayé et faillit en quitter Ferney. « Peu de jours après, quand la réflexion eut chassé sa peur, il aurait défié toutes les puissances malveillantes. » Pendant plus de dix ans, il poursuivit la réhabilitation de M. d'Etallondes et les juges du Chevalier de La Barre. Il ne réussit pas.
Les erreurs judiciaires sont de tous les temps. Elles semblent avoir été, en celui-là, particulièrement graves. Après l'affaire Calas, elles furent presque toutes évoquées à Ferney. En 1766, Voltaire défendit la mémoire du comte de Lally-Tollendal, décapité après la perte des Indes pour avoir trahi les intérêts du roi, et parvint àfaire réhabiliter cet officier injustement condamné. En 1769, il réhabilita un cultivateur nommé Martin, roué pour un crime que le vrai coupable avait ensuite avoué. En 1770, ce fut le procès des époux Montbailli, de Saint-Omer ; Voltaire malheureusement ne put intervenir qu'après l'injuste exécution du mari, mais il fit absoudre la femme. Quelquefois lui-même commit des erreurs et défendit de fausses victimes. Mais mieux valait acquitter un coupable que de torturer un innocent. Sur le plan fiscal, il rendit un immense service aux paysans du Pays de Gex, parmi lesquels il vivait, en les délivrant de la mainmorte et des gabelles. Quand les trois ordres du Pays de Gex se réunirent pour approuver la convention passée avec la France, Voltaire présida la cérémonie. Il parut à la fenêtre de l'Hôtel de Ville et cria : « Liberté ! » La foule répondit : « Vive le Roi ! Vive Voltaire ! »
Il avait avec lui douze dragons de Ferney qui se tinrent sur la place devant la maison où était l'assemblée. « Les douze dragons mirent l'épée à la main pour célébrer notre ami, qui partit tout de suite et fut de retour pour dîner. En passant dans quatre ou cinq villages, on jetait des lauriers dans son carrosse. Il en était couvert. Tous ses sujets se mirent en haie pour le recevoir, et le saluèrent avec des boîtes, pots à feu, etc. Il était très content et ne s'apercevait pas qu'il avait quatre-vingt-deux ans. »
XX
Le patriarche
C'est une force, pour un écrivain célèbre, que de vivre vieux. Il y gagne l'affection des foules qui, si même elles ignorent son œuvre, admirent sa longévité, l'indulgence de ses cadets qui, à peu près certains de le voir bientôt disparaître, retrouvent le courage de lui rendre justice, enfin la liberté d'esprit naturelle à un homme qui, se voyant proche, suivant sa foi, du néant ou du jugement, reprend, s'il ne l'a toujours eu, son franc-parler sur les choses de ce monde. Voltaire, après 1764, âgé de soixante-dix ans, puis de quatre-vingts ans, devient le patriarche de l'Europe intelligente. On ne le traite plus en homme mais en symbole, et, si l'évêque d'Annecy le dénonce à la Cour pour une comédie, d'ailleurs indécente et dépourvue de dignité, qu'il a jouée pour communier malgré l'Eglise, le Ministre, qui jadis l'eût emprisonné, se borne à lui écrire une lettre un peu sévère. « Il n'y a plus, dit le danseur Vestris, que trois grands hommes en Europe : le Roi de Prusse, Monsieur de Voltaire et moi. »
Tous les souverains, hors le sien, le traitent en puissance spirituelle. Quand ses amis de Paris lui veulentélever une statue, quatre rois souscrivent : l'Empereur de Russie, les rois de Prusse, de Pologne et de Danemark. Cela lui fait plaisir : « J' ai, dit-il, brelan de roi quatrième, mais il faut que je gagne la partie. N'admirez-vous pas comme cette vie est mêlée de hauts et de bas, de blanc et de noir, et n'êtes-vous pas fâché que, parmi mes quatre rois, il n'y en ait pas un du Midi ? »
Frédéric lui était revenu, après cinq ans de brouille et de silence. « C'était une querelle d'amants, dit Voltaire. Les tracasseries de Cour passent, mais le caractère d'une belle passion dominante subsiste longtemps. » La correspondance avait repris, un peu difficile au début parce que la Prusse était en guerre avec la France. Mais le patriotisme était alors un sentiment moins ferme et l'on pouvait échanger, par-dessus
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