Voltaire
Toulouse, accusée d'un crime presque identique et défendue elle aussi par Voltaire, firent plus pour sa gloire populaire que ses ouvrages.
Trente ans plus tard, la Convention Nationale décréta que serait élevée aux frais de la République, sur la place « où le fanatisme avait fait périr Calas », une colonne de marbre sur laquelle serait gravée l'inscription suivante : « La Convention Nationale à l'amour paternel, à la nature, à Calas victime du fanatisme. »
Cela se passait en l'année 1793, où cette assemblée faisait trancher la tête à quelques centaines de Français qui ne pensaient pas comme elle.
XIX
Affaire du Chevalier de La Barre
« Il y avait dans Abbeville, petite cité de Picardie, une abbesse aimable et de mœurs régulières. » Elle fut courtisée par un habitant de la ville nommé Belleval, âgé de soixante ans et lieutenant d'un petit tribunal local. Elle le repoussa avec douceur.
En 1764, cette abbesse fit venir chez elle un de ses neveux, le chevalier de La Barre, jeune homme de dix-neuf ans. Il fut logé à l'extérieur du couvent, mais il y vint souvent souper avec quelques-uns de ses amis. Le sieur de Belleval, qui avait été exclu de ces soupers et qui en avait conçu un grand ressentiment contre l'abbesse, sut que le jeune La Barre et un de ses amis, le fils du Président d'Etallondes, avaient passé près d'une procession sans ôter leur chapeau, et dès ce moment il chercha à faire regarder « cet oubli des bienséances » comme une insulte préméditée faite à la religion. Quelques jours plus tard un crucifix de bois, qui était placé sur le vieux pont d'Abbeville, fut trouvé un matin endommagé. Il est probable qu'il avait été éraflé par une charrette qui passait, mais on voulut voir dans cet incident une mutilation volontaire et un sacrilège.L'évêque d'Amiens y vint faire une procession solennelle et l'on ne parla plus dans Abbeville que de ces événements.
Belleval confondit malicieusement l'affaire du crucifix et celle de la procession. Il se mit à faire des enquêtes sur la vie du Chevalier de La Barre. Il obtint contre lui un monitoire, c'est-à-dire une lettre de l'évêque lue publiquement au prône et obligeant les fidèles à venir, sous peine d'excommunication, déposer sur les faits visés. Rien de plus dangereux, car un soupçon publiquement exposé fait toujours naître le faux témoignage. Il n'y a au monde que trop de méchants et de fous; toute excitation les déchaîne. On trouva un témoin pour dire que La Barre avait chanté des chansons libertines, un autre pour jurer qu'il avait employé un gros mot en parlant de Sainte Marie-Madeleine, un troisième pour rapporter des faits de la même gravité. Ce fut tout ce qu'on put prouver, et encore par témoignages non contrôlés et contredits par l'accusé.
Cependant les juges d'Abbeville, avec une cruauté inconcevable, condamnèrent le jeune d'Etallondes, âgé de dix-huit ans, à souffrir l'amputation de la langue jusqu'à la racine, à avoir la main droite coupée à la porte de la principale église, à être ensuite attaché à un poteau et brûlé à petit feu. Heureusement d'Etallondes était en fuite. Mais le Chevalier de La Barre était entre leurs mains. «Les juges eurent, en sa faveur, l'humanité d'adoucir la sentence en ordonnant qu'il serait décapité avant d'être brûlé. Cette étonnante sentence fut rendue le 28 février 1766. »
Le Chevalier de La Barre fut transporté à Paris. Le Procureur général conclut à casser la sentence d'Abbeville, mais quinze juges contre dix la confirmèrent. Cette fois, la France entière regarda ce jugementavec horreur. Le Chevalier de La Barre fut renvoyé à Abbeville pour y être exécuté. Le Dominicain qui l'assistait pendant la torture, voyant ses souffrances, ne pouvait manger. « Prenons un peu de nourriture, lui dit le Chevalier. Vous aurez besoin de force autant que moi pour soutenir le spectacle que je vais donner. »
Tout ce qu'il dit avant le supplice fut : « Je ne croyais pas qu'on pût faire mourir un jeune gentilhomme pour si peu de chose. » Au bourreau il demanda : « Est-ce toi qui as tranché la tête au comte de Lally. - Oui, monsieur. - Tu l'as manqué ! - Il se tenait mal ; placez-vous bien et je ne vous manquerai pas. -Ne crains rien, je me tiendrai bien et ne ferai pas l'enfant. » Quand la nouvelle de sa mort fut reçue à Paris, le Nonce dit publiquement qu'il n'aurait pas été traité ainsi à Rome.
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