Voltaire
Français sentaient leur esprit s'animer. On peut préférer des musiques plus graves, mais celle-là devait avoir bien du charme, puisqu'après plus d'un siècle la France n'est pas lasse de ce que l'on a si bien appelé le pres tissimo de Voltaire.
Aspects de la biographie
© Éditions Grasset & Fasquelle, 2004.
Copyright 1928, by André Maurois.
À SIR JOSEPH THOMSON
MASTER OF TRINITY COLLEGE, CAMBRIDGE
Ce livre est composé de six conférences prononcées à Trinity College, Cambridge, en mai 1928, pour la fondation Clark. Le romancier E.-M. Forster, qui avait été l'année précédente chargé de ce cours, avait pris pour sujet : « Aspects du Roman ». J'ai essayé de traiter après lui un sujet complémentaire et, suivant son exemple, n'ai pas cherché à raconter l'histoire d'un genre. Le lecteur qui souhaiterait lire un tel exposé le trouverait soit dans le livre de Waldo H. Dunn : English Biography, soit dans le livre de Harold Nicolson : Development of English Biography, soit encore, sous une forme très brève, mais excellente, dans la petite brochure du professeur Cross, de l'Université de Yale : De Plutarque à Strachey.
CHAPITRE PREMIER
La biographie moderne
E.-M. Forster qui, l'an dernier, fut ici mon prédécesseur, commença les Clark Lectures par une invocation à Clark, d'abord pour le prier de laisser flotter au-dessus de votre assemblée son honnêteté et son intègre érudition, ensuite pour lui demander d'accorder à l'orateur un peu d'inattention, car, disait-il, « je ne m'en tiens pas très strictement aux conditions indiquées : "Période ou périodes de la littérature anglaise". Ces conditions, bien qu'elles semblent libérales, et bien qu'elles le soient en effet, ne conviennent pas tout à fait au sujet choisi par nous ».
Je voudrais, moi, commencer par une invocation à Forster en le remerciant de m'avoir montré le chemin et donné l'exemple de l'indiscipline. Sans lui, peut-être aurais-je essayé de vous faire un tableau savant et chronologique de l'histoire de la Biographie en Angleterre. Je vous aurais dit que, vers 690, Adamnan, saint et historien irlandais, écrivit The Life of Saint-Columba, vie qui a été grandement louée et dont on a dit qu'elle était le morceau biographique le plus complet qu'on puisse trouver dans la littérature européenne, non seulementen cette période, mais même pendant tout le moyen âge. De là j'aurais passé à la Vie d'Alfred le Grand, par Asser qui, autant que je le sais par ses commentateurs, parle volontiers de tout, sauf de son héros, en quoi il est ancêtre et précurseur de la plupart des biographes modernes. J'aurais fait une conférence sur Walton et sur Johnson. Puis je serais arrivé à Boswell de qui je vous aurais dit qu'il a créé la biographie moderne, ce qui eût été une erreur, mais une erreur déguisée en évidence par une longue ancienneté. J'aurais composé un éloge sans réserves de Boswell, de son intelligence et de la finesse de sa psychologie. J'aurais raillé ceux qui l'ont pris pour un sot et j'aurais cité la phrase : « Un homme plus sage que Macaulay, James Boswell. » Ou peut-être aurais-je au contraire nié le talent de Boswell, et essayé de montrer que ce que nous avons pris pour du génie, n'est qu'une naïveté géante qui flatte notre orgueil par sa simplicité. Dans une conférence sur la biographie victorienne, j'aurais fait l'éloge de Moore et de Lockhart ; j'aurais parlé du Macaulay, de Trevelyan; du Dickens, de John Forster; du Goethe, de Lewes; j'aurais réhabilité au passage Froude. Enfin une dernière conférence sur Strachey, Nicolson et leurs imitateurs aurait complété une vue à vol d'oiseau de la biographie anglaise. Je ne vous aurais rien appris, car vous savez ces choses mieux que moi, mais peut-être me serais-je donné à moi-même la tranquillité d'esprit de l'homme qui a observé les règles.
Oui, j'aurais préparé ces conférences avec une facile platitude si je n'avais lu Aspects du Roman. Mais, ayant lu Forster et en particulier la belle comparaison qu'il fait entre l'érudition authentique, qui est et a toujours été l'honneur de cette Université, et la pseudo-érudition qui en est la vaine parodie, je me suis dit que, puisqueles circonstances n'avaient pas fait de moi un érudit professionnel, je devais éviter le ridicule de jouer au pseudo-érudit.
Pourtant, au mois de janvier dernier, j'ai failli me laisser tenter. « Oui, pensais-je, tout
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