Voltaire
Cambridge sait ces choses, mais peut-être serait-il possible de renouveler par une forme nouvelle une matière si usée. » Et, faute de trouver un autre moyen de traiter le sujet, j'étais prêt à m'abandonner, nageur fatigué et maladroit, au courant chronologique quand, vers la fin du mois, je fus sauvé par M. Harold Nicolson. M. Nicolson qui est, lui, un érudit authentique, a publié cette année un petit livre auquel il a donné pour titre The Development of English Biography, et dans lequel il a fait exactement ce que je pouvais me proposer de faire. Il l'a fait avec une telle perfection qu'il ne me restait pas un mot à dire et cette fois j'ai dû, bon gré, mal gré, abandonner les chemins faciles, renoncer à la Vie de saint Columba, à celle d'Alfred le Grand, et chercher un autre moyen de vous présenter la biographie. Aussi bien ce qui nous intéresse, vous et moi, ce n'est pas une énumération de tous les ouvrages qui ont été consacrés, depuis deux mille ans qu'il y a des Anglais et qui écrivent, à raconter des existences humaines; ce n'est pas seulement un problème historique; c'est tout ensemble un problème éthique et un problème esthétique.
Y a-t-il une biographie moderne ? Est-elle une forme littéraire différente de la biographie traditionnelle ? Les méthodes qu'elle a suivies sont-elles légitimes, ou au contraire faut-il y renoncer? La biographie doit-elle être un art ou une science? Peut-elle être, comme le roman, un moyen d'expression, une délivrance pour l'auteur comme pour le lecteur? Voilà quelques-uns des problèmes que nous pourrons traiter ensemble, enprenant, pour rester fidèles à l'esprit de cette fondation, nos exemples dans la littérature anglaise.
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Et d'abord existe-t-il un type de biographie que l'on puisse appeler moderne et qui diffère, par des traits constants et définis, des biographies écrites avant notre temps? C'est un sujet sur lequel l'Angleterre littéraire est, en ce moment, assez divisée. Le mot « moderne » irrite chez vous bon nombre d'excellents esprits. Les mouvements littéraires, comme les mouvements politiques, sont oscillatoires. Après une crise d'antivictorianisme, le pendule, tout naturellement, est retombé.
En 1918, M. Lytton Strachey pouvait écrire : « L'art de la biographie semble avoir traversé, en Angleterre, une période malheureuse... Ces deux gros volumes, par lesquels nous avons coutume de commémorer les morts, qui ne les connaît ? avec leur masse de documents mal digérés, leur style négligé, leur ton d'ennuyeux panégyrique, leur lamentable défaut de choix, de détachement, de dessein? Ils nous sont aussi familiers que le cortège de l'entrepreneur de pompes funèbres. Ils ont le même air de lente et mortuaire barbarie. »
Un tel jugement était alors approuvé en Angleterre par la plupart de ceux qui le lisaient. Le serait-il encore en 1928 ? Je ne le crois pas. Les plus avancés de vos critiques mettent aujourd'hui une savante coquetterie à louer le génie, la naïve abondance des grands biographes victoriens et affirment volontiers que, toutes choses considérées, leurs méthodes étaient les plus saines.
Cette réaction sans doute était utile. Les contemporainsde la reine Victoria avaient créé des conventions sur lesquelles une société stable, et peut-être heureuse, avait vécu. Cette stabilité même et ce bonheur avaient fait douter de l'utilité des conventions et toute une génération plus jeune s'était habituée à traiter celles-ci comme des survivances vaines et un peu comiques. Or, elles étaient, comme toutes choses humaines, à la fois admirables et comiques. Il était bon que l'admiration eût son tour et vînt se mêler à l'humour.
Mais on peut admirer très sincèrement les qualités d'un type de biographie et admettre cependant qu'il en existe un autre. Lisez une page d'une biographie victorienne, et lisez ensuite une page de Strachey. Vous verrez immédiatement que vous avez devant vous deux types de livres très différents. Un livre de Trevelyan ou de Lockhart, si bien fait d'ailleurs qu'il puisse être, est avant tout un document; un livre de Strachey est avant tout une œuvre d'art. Strachey, sans doute, est en même temps un historien exact; mais il a su faire entrer sa matière dans une forme parfaite et c'est cette forme qui fut pour lui l'essentiel.
Ce qui est vrai des grands historiens de chacune des deux époques l'est aussi d'auteurs plus médiocres qui,
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