Voltaire
« est la transmission véridique d'une personnalité ». Aucune phrase ne nous paraît plus nettement poser le double problème de la biographie tel qu'il se présente à nous aujourd'hui. D'un côté, il y a la vérité; de l'autre, la personnalité. Et si nous pensons à la vérité comme à quelque chose qui a la solidité du granit ; à la personnalité comme à quelque chose qui a l'intangibilité de l'arc-en-ciel; si nous réfléchissons que le but de la biographie est de réunir ces deux aspects en un tout sans couture visible, nous admettrons que le problème est difficile et nous ne nous étonnerons pas si, pour la plupart, les biographes ne réussissent pas à le résoudre. Car la vérité dont parle sir Sidney, la vérité que demande la biographie, est la vérité sous sa forme la plus dure, la plus résistante; c'est la vérité comme on la trouve au British Museum; c'est la vérité dont toute vapeur de fausseté a été expulsée par la pression de la recherche. Ce n'était que lorsqu'une telle vérité avait été établie que sir Sydney daignait s'en servir pour la construction d'un monument. Et nul ne peut nier que les masses de tels faits solides qu'il a accumulées, qu'il s'agisse de celle qu'il a appelée Shakespeare, ou de celle qu'il a appelée le roiEdouard VII, sont dignes de tout notre respect, car il y a une vertu dans la vérité. Elle a un pouvoir presque mystique. Comme le radium, elle semble capable de laisser échapper sans fin des éléments d'énergie ou des atomes de lumière. Elle stimule l'esprit comme une fiction, si adroite, si colorée qu'elle soit, ne peut le stimuler. La vérité étant ainsi efficace et suprême, nous ne pouvons expliquer le fait que la Vie de Shakespeare, par sir Sidney, est morne, et sa Vie d'Edouard VII illisible, qu'en supposant que, bien que toutes deux soient chargées de vérité, il n'a pas su choisir les vérités qui transmettent la personnalité. Pour que la lumière de la personnalité puisse briller à travers eux, il faut que les faits soient manipulés. Quelques-uns d'entre eux doivent être mieux éclairés, d'autres doivent être laissés dans l'ombre et pourtant, au cours de ce travail, ils ne doivent rien perdre de leur intégrité.
Oui, c'est vrai. Il semble que le souci de la vérité et le désir de la beauté soient des besoins contradictoires. Nous traiterons, si vous le voulez bien, dans les conférences qui vont suivre, de la « Biographie considérée comme œuvre d'art », et de la « Biographie considérée comme science » et j'espère pouvoir vous montrer que l'art et la science peuvent être réconciliés. Un grand livre scientifique, s'il est parfaitement réussi, est une œuvre d'art. Un beau portrait est, à la fois, un portrait ressemblant et une transposition artistique de la réalité. Il est exact que la vérité a la solidité de la pierre et que la personnalité a la légèreté de l'arc-en-ciel, mais Rodin, et avant lui les sculpteurs grecs, ont quelquefois su donner au marbre les courbes fugitives et les lumières changeantes de la chair.
1 C. Trueblood.
2 Sur tout ce thème lire Ramon Fernandez : Messages (N.R.F.) et Introduction à l'étude de la personnalité (Au Sans Pareil).
CHAPITRE DEUXIÈME
De la biographie comme œuvre d'art
Si nous pouvions nous placer, pour contempler notre propre vie, au point de vue de l'artiste, cette vie nous donnerait certainement les plus grandes joies esthétiques. Jamais un romancier, jamais un biographe ne pourra nous montrer des nuances de sentiment aussi fines que celles que nous pourrions observer en contemplant nos propres amours, notre ambition, notre jalousie, notre bonheur. Mais nous sommes incapables d'observer au moment où nous éprouvons nous-mêmes les émotions. Celles-ci sont trop fortes et ne laissent pas l'intelligence esthétique disponible. Il serait peut-être déjà plus facile d'éprouver une émotion d'art en regardant les vies de ceux qui nous entourent ; mais presque toujours nous éprouvons à leur égard des sentiments d'affection ou au contraire d'antipathie, et la vigueur de ces sentiments nous empêche, elle aussi, de les regarder avec détachement.
C'est ce qu'explique si bien Miss Jane Harrison dans son livre Ancient Art and Ritual : « Pour goûter une chose en tant qu'œuvre d'art, il nous faut devenir, pour un moment, dépouillés de tout désir d'action. Il nousfaut être délivrés de la crainte et de l'agitation de la vie réelle. Il
Weitere Kostenlose Bücher