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Voltaire

Voltaire

Titel: Voltaire Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: André Maurois
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faudrait une vie d'homme pour l'épuiser. Doit-il alors grouper les détails comme dans un portrait bien dessiné? Doit-il monter une machine intelligible? Alors il s'éloigne de l'être réel. « Il me semble, dit Gilbert Mauge, qu'il y a dans la vie encore fraîche, à peine vécue, une folie extraordinaire qui disparaît à mesure que les années reculent et que les biographes, s'en emparant, composent ces systèmes froids et révolus qu'ils nomment Henri II ou Louis XIII. » Faire de l'homme un système clair et faux, ou renoncer entièrement à en faire un système et à le comprendre, tel semble être le dilemme du biographe.
    Ce raisonnement est fort, mais il prouve aussi bien l'impossibilité de peindre un paysage ou un visage réel, parce que le visage est trop mouvant, le paysage fait de trop de nuances, de trop de formes diverses. Or, il est possible de peindre un portrait, un paysage qui soit à la fois ressemblant et beau. Le biographe doit, comme le portraitiste et comme le paysagiste, isoler ce qu'il y a d'essentiel dans l'ensemble considéré. Par ce choix, et s'il est capable de choisir sans appauvrir, il fait très exactement œuvre d'artiste.
    Le premier de ses choix est celui du sujet. Un peintre de paysages ne s'assied pas n'importe où. Il s'arrête devant un paysage naturel en disant : « Ceci se place bien, s'encadre bien... » Quelques-uns des grands impressionnistes se promenaient avec un cadre qu'ils essayaient aux divers éléments du paysage, avant de choisir celui qu'ils allaient essayer de peindre. Le biographe doit, lui aussi, se promener cadre en mains, et le choix du sujet est peut-être ce qu'il y a pour lui de plus important. Il y a des vies qui sont naturellement belles et en quelque sorte faites, soit par le hasard, soit par un dynamisme intérieur de l'être, comme des œuvresd'art spontanées. Quelquefois, elles présentent cette mystérieuse symétrie qui, si elle est dissimulée sous une suffisante et riche masse de chair, donne leur beauté aux œuvres humaines. La vie de Shelley, par exemple, est une merveilleuse composition naturelle; elle s'ordonne autour de deux femmes, Harri, et puis Mary Godwin ; chacune de ces femmes correspond à un stade différent de la vie morale de Shelley, et il est amené à chacune d'elles par des sentiments assez semblables. La catastrophe qui termine la vie se produit dans l'extrême jeunesse, et avant le moment où la trop grande variété des événements de l'âge mûr aurait pu enlever au personnage son admirable simplicité. Byron est un héros beaucoup plus difficile : un romancier se fût bien gardé de construire une vie aussi chargée d'incidents que celle de Byron. Pourtant elle aussi doit avoir son unité secrète ; il conviendrait de la trouver.
    Sir Sydney Lee dit sur cette question du choix que le thème d'une biographie « doit être d'une certaine grandeur ». On pourrait soutenir que la vie de tout être humain est intéressante et que, si un biographe était capable d'analyser toutes les pensées qui ont traversé l'esprit d'un obscur mendiant, cette analyse pourrait être plus belle et plus riche qu'une vie de César. Sterling, auquel Carlyle consacra deux volumes, n'était pas un personnage très connu et Carlyle le savait. Vous vous souvenez de sa conclusion :
    « Tout ce qui reste, sous forme tangible, des activités de John Sterling en ce monde sont ces deux pauvres volumes... Un mémorial sans grande prétention qui ne croit pas avoir atteint à la grandeur, mais qui montre simplement, tristement, qu'il y avait là une promesse de grandeur. Comme d'autres vies du même genre, comme toutes les vies, celle-ci est une tragédie. Grands espoirs,nobles efforts. Sous les difficultés et les obstacles toujours croissants, noblesse toujours nouvelle de vaillants efforts, et comme résultat, la mort... Une vie qui ne peut forcer l'attention du monde et qui, pourtant, modestement, la sollicite et peut-être, si on l'étudie bien, récompensera ceux qui la lui donneront. »
    Marcel Schwob est de l'avis de Carlyle : « Les biographes, écrit-il, ont supposé que seule la vie des grands hommes pouvait nous intéresser. L'art est étranger à ces considérations. Aux yeux du peintre le portrait d'un homme inconnu, par Cranach, a autant de valeur que le portrait d'Erasme. Ce n'est pas grâce au nom d'Erasme que ce tableau est inimitable. L'art du biographe serait de donner autant de prix à la vie d'un pauvre acteur qu'à la vie de

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