Voltaire
porteur d'éventail d'une femme !... Et maintenant, je suis un cavalier servant. Par Dieu ! c'est une étrange sensation ! »
Musset, réplique française de Byron, en même temps qu'il écrit à George Sand : « La postérité répétera nos noms comme ceux de ces amants immortels qui n'en ont plus qu'un à eux deux, comme Roméo et Juliette, comme Héloïse et Abélard », enregistre les sentiments qui lui permettent ensuite de noter : «Tandis que je composais mes poèmes, elle barbouillait des rames de papier... Ce tête-à-tête de tous les jours avec une femme plus âgée que moi, ce visage de plus en plus sérieux que j'avais toujours devant moi, tout cela révoltait ma jeunesse et m'inspirait des regrets amers pour ma liberté d'autrefois. »
Chez Byron ou Musset, hommes changeants, sans doute ces impressions sont-elles sincères et expriment-elles des aspects divers d'eux-mêmes. Dans d'autrescas, la lettre peut être l'œuvre d'un hypocrite et n'exprimer en rien ses sentiments. C'est le cas de l'admirable Godwin; si nous lisons les lettres de Godwin à Shelley, ou ses lettres à Edward Bulwer Lytton, en les détachant de ce que nous savons de la vie et des habitudes de Godwin, il nous apparaît comme un saint, grande erreur. Donc tous ces documents personnels, si précieux qu'ils soient, ne valent que dans la mesure où ils sont confrontés les uns avec les autres, et tous avec une image complète du personnage. Cette confrontation, quand elle est possible, nous révèle des faiblesses, des mensonges, des erreurs, et elle éclaire merveilleusement un héros, mais encore une fois elle est œuvre d'artiste plus que de savant.
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Dans le cas d'un écrivain, il y a un document qui est bien tentant, c'est l'œuvre, et la première tendance de tout biographe est d'interpréter l'œuvre dans un sens autobiographique. C'est naturel. Il est certain qu'aucun écrivain ne connaît bien une autre âme que la sienne ; quand il veut peindre des hommes, c'est de fragments de son caractère qu'il se sert. Les personnages de roman, vous a expliqué Forster l'an dernier, sont des masses de mots qui représentent certains traits de l'auteur.
« Un romancier construit un certain nombre de masses-mots qui le décrivent lui-même grossièrement (grossièrement, les nuances viendront plus loin). Il donne à ces masses un nom et un sexe, leur attribue des gestes plausibles ; puis il les fait converser entre elles au moyen de guillemets et peut-être leur donne uneconduite raisonnable. Ces masses-mots sont ses caractères. »
Il semble donc possible, souvent facile, de retrouver l'homme sous les personnages. On construit un Dickens d'après David Copperfield, un Meredith d'après Evan Harrington, un Stendhal d'après Fabrice et Julien, une enfance de Balzac d'après celle de Félix de Vandenesse. Cela a l'air vrai, mais c'est très dangereux. Thomas Hardy disait à un visiteur, en feuilletant un livre sur lui-même :
« Pourquoi les gens ne font-ils pas plus attention, quand ils veulent déduire des faits biographiques ou à demi biographiques de l'œuvre d'un auteur? Les gens avaient l'habitude de dire que David Copperfield était Dickens. Il n'était pas Dickens. M. Hedgcock se sert continuellement de mes romans pour décrire mon caractère. Sa dissection ne serait déjà pas de très bon goût pendant que je suis vivant, si même elle était vraie. Mais elle est fondée sur des caractères et des incidents de romans qui sont de pures inventions. La grande faute de M. Hedgcock qui consiste à suivre les romans d'un écrivain, le conduit à des inexactitudes nombreuses. Par exemple il dit que j'ai été élevé à parler un dialecte local. Je ne le parlais pas ; je le connaissais, mais personne ne le parlait chez moi. Ma mère ne s'en servait que pour parler aux paysans ou mon père à ses ouvriers. Son récit de mon éducation est plein d'erreurs. Il dit que j'ai été élevé dans une école primaire et que je n'ai pas eu d'éducation classique. Je n'ai jamais été à l'école primaire que jusqu'à l'âge de dix ans et j'ai appris le latin à l'école depuis l'âge de douze ans. Il dit aussi que j'ai appris les langues classiques par correspondance, trompé là par sa fausse identification de moi avec mon héros Smith. La même source d'erreurs le conduit àm'attribuer le dégoût ressenti pour l'architecture par un autre de mes héros. Quand il me confond avec Smith, il commet quelques-unes de ses pires erreurs. La
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