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Voltaire

Voltaire

Titel: Voltaire Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: André Maurois
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description physique de Smith ne coïncide pas du tout avec la mienne. Son père ne ressemblait en rien au mien. Le père de Smith était un homme de Weymouth, dans la mesure où il était basé sur une personne réelle, ce qui n'était guère le cas. Dans une autre page, il m'identifie avec Springrove et une autre fois avec Clym... »
    Quand on a soi-même écrit des romans, on comprend très bien Thomas Hardy. Un personnage de roman est fait, non pas avec toute la personnalité de l'auteur, mais avec un fragment souvent très limité de son moi. De ce que Proust a écrit d'admirables pages sur la jalousie, je me garderai de conclure que Proust, surtout vers la fin de sa vie, était jaloux. Il suffit d'avoir éprouvé un sentiment avec force pendant quelques jours, pendant quelques minutes pour être capable de le décrire. Souvent il suffit de l'avoir décrit pour ne plus l'éprouver; l'œuvre agit ici comme délivrance. Peut-être (je n'en sais rien; c'est une hypothèse), peut-être faudrait-il dire : Meredith a raillé l'égoïste parce qu'il était un égoïste, et Meredith a cessé d'être un égoïste parce qu'il avait écrit l'Egoïste.
    D'ailleurs, un personnage de roman n'est pas conçu par un auteur penché sur lui-même et trouvant tout en lui; un romancier est un homme qui en connaît d'autres, qui se promène dans le vaste monde. S'il a trouvé la première armature de son héros en lui-même, il trouve en d'autres les innombrables traits qui nourriront ce personnage central et qui lui donneront la vie. Si nous, biographes, acceptons ce personnage central comme étant l'image même de l'auteur, nous serons exposés à de graves erreurs. Bien plus, il arrive souventqu'un écrivain compose une œuvre pour se donner par elle, dans un monde imaginaire, ce que la vie réelle lui a refusé. (Exemple : dans le cas de Dickens, le mariage de David avec Agnès.) Dans ce cas le roman n'est pas autobiographique, il est exactement le contraire et ce n'est que par une voie tout à fait indirecte qu'on peut s'en servir et le transformer en document. Enfin il arrive qu'un auteur soit formé par son œuvre plus qu'il ne la forme et en devienne en quelque sorte l'esclave. Pour Byron l'humeur Childe-Harold a existé, mais a été une humeur passagère. Or le public, lui, n'accepte pas que son auteur favori ne ressemble pas à l'œuvre; il exerce une pression énergique et douce pour faire entrer l'auteur dans le moule du personnage; quand le personnage est séduisant, quand il paraît plaire, quand il attire les femmes, l'auteur se laisse faire. Au biographe de faire attention et d'expliquer moins Childe-Harold par Byron que Byron par Childe-Harold.
    Les historiens littéraires français viennent d'avoir un excellent exemple des erreurs auxquelles conduit cette méthode dans les cas mêmes qui semblaient les plus clairs. Tout le monde croyait que le Lys dans la vallée avait été inspiré à Balzac par sa première maîtresse, Mme de Berny. Un livre qui vient de paraître, Balzac mis à nu, de M. Charles Léger, nous apporte des documents nouveaux et nous montre que le modèle de Balzac dans ce cas particulier fut la comtesse Guidoboni-Visconti. Au moment où Balzac écrivait à l'étranger, à Mme Hanska : « Oh ! tu ne sais pas ce que c'est que trois années de chasteté », tout le monde, à Paris, savait sa liaison avec Mme Guidoboni-Visconti, dont il a eu, en 1836, un fils 1 .
    Il y a un cas cependant où je crois (mais je puis me tromper) qu'il n'y a pas grand danger à supposer que l'oeuvre a été en grande partie inspirée par la vie, c'est celui où, dans toutes les œuvres d'un même auteur, on retrouve le même personnage sous des noms différents. C'est très frappant chez Stendhal, où Fabrice, Julien Sorel et Lucien Leuwen sont exactement le même homme; homme qui n'est pas celui qu'a été Stendhal, mais très évidemment celui que Stendhal aurait voulu être. Ces personnages n'ont pas une valeur autobiographique, mais ils ont une grande valeur d'explication. De même quand, dans les deux premiers romans de Disraeli, Vivian Grey et Contarini Fleming, nous trouvons chez les deux héros la même jeunesse, le même combat dans une école, décrit presque dans les mêmes termes, il me semble (oh ! sans l'affirmer) que nous avons le droit de conclure qu'il s'agit là d'une véritable obsession et que le récit ne serait pas si vivant s'il n'était pas véritable. J'en dirai autant de l'enfance de Dickens,

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