Voyage au Congo
les porteurs recrutés pour le transport du mil qui doit servir à l’alimentation des cheminots de Pointe-Noire. Ces porteurs n’avaient pour se nourrir que du je ne sais quoi, des herbes, des racines, ou que le produit de leurs vols {68} .
Ces interrogatoires nous avaient menés jusqu’au soir. Nous devions partir le lendemain à la première heure et avions déjà pris congé de Martin. Mais nous ne pouvions le laisser ignorer tout ce qu’il aurait dû savoir et que nous venions d’apprendre. Prétextant une lettre à remettre à Marcilhasy, nous nous rendons au poste. Il est déjà neuf heures ; tout est éteint ; tant pis. Martin, déjà couché, se relève.
– Il y a ici quelqu’un qu’on cherche à mettre dedans, lui dis-je ; vous ou moi. Les renseignements que le garde vous a donnés sont en désaccord avec ceux que nous venons d’obtenir. Et comme il m’est désagréable de laisser derrière moi une affaire insuffisamment nettoyée, je décide de remettre notre départ de quelques heures ; c’est le temps qu’il faudra demain pour tirer tout cela au clair.
Et ce matin, nous faisons comparoir les deux plantons qui ont emmené l’interprète, introuvables hier soir. Mais j’avais exigé que le « première classe » nous les amenât. Du reste, pris de peur devant ma fermeté, ledit garde avait fait revenir l’interprète lui-même. À présent l’affaire est très claire, très nette. En l’absence du sergent, emmené depuis dix jours par l’administrateur, le garde de première classe a abusé de ses pouvoirs, fait des recrutements arbitraires, contraires aux règlements, et gardé par-devers lui la nourriture qu’il eût dû distribuer aux prestataires et aux porteurs. Au surplus, voici le sergent de retour ; c’est un islamisé du Soudan, qui parle fort passablement le français, et nous fait la meilleure impression. Nous le mettons au courant de l’affaire et lui confions le malheureux interprète, brimé pour nous avoir parlé, qu’il doit protéger contre le ressentiment du garde. Nous avons avisé de tout Martin, et de telle manière qu’il ne pût guère se dispenser d’intervenir. Il est inadmissible qu’il protège et favorise de tels abus, fût-ce simplement en fermant les yeux. S’il n’y eût eu là rien de répréhensible, le garde n’eût point pris de telles précautions pour le cacher.
Avant de quitter Bosangoa nous retournons au camp. Tout est rentré dans l’ordre : seuls des adultes sont là, groupés autour de feux non plus seulement d’herbes, mais de branches {69} . Ils sont du reste si craintifs, si terrorisés qu’ils feignent de ne comprendre point le sango, pour n’avoir pas à nous répondre (un peu plus tard on constate qu’ils le parlent parfaitement). Ils n’osent pas prendre les cigarettes que je leur tends, ou du moins qu’après un quart d’heure d’approche et de lent apprivoisement. On ne peut imaginer bétail humain plus misérable.
Vers deux heures nous quittons Bosangoa, après une visite à l’école d’agriculture, fondée récemment par Lamblin, fort intelligemment dirigée, nous semble-t-il, par le jeune M.
Passé l’Ouham, à cinq cents mètres du poste ; le peuple semble moins endormi ; quelques-uns saluent, sourient presque ; les huttes des nombreux villages traversés ont de nouveau des murs ; les habitants sont plus propres. Quelques femmes assez belles, et quelques hommes admirablement proportionnés. Quand nous nous arrêtons il est cinq heures. Le soleil, sans être précisément ardent, semble féroce. Puis, soudain, se colore et éteint ses feux. Grand beau village avant d’arriver au poste. Fort beau également, le village du poste, Yandakara, où nous nous arrêtons pour dîner, devant une immense esplanade. Près du gîte d’étape, à peine sorties du sol, de belles grandes dalles de granit gris.
24 décembre.
Repartis de Yandakara après souper. Beau clair de lune. Trop froid pour rester longtemps en tipoye, où pourtant j’arrive à m’assoupir. On parvient vers onze heures à un village dont, je ne sais le nom ; d’où nous repartons au petit matin, par un froid terrible. Il ne devait pas faire plus de 6°. Route assez monotone ; quelques cultures.
Brusquement, un miracle : l’auto que nous avions cessé d’espérer. Elle n’est pas passée par Bosoum. Elle vient à notre rencontre, car Lamblin a fort bien pensé que, vu le retard, nous nous serions mis en route sans plus
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