Voyage au Congo
et jeté en prison… C’est ce qu’Adoum nous apprend à notre petit lever.
Et ce matin, lorsque Marc et moi cherchons à revoir les enfants, l’on nous dit qu’ils sont repartis dans leurs villages. Quant à l’interprète, après avoir passé la nuit en prison, il a été emmené par deux gardes, dès l’aube, pour travailler au loin, on ne peut ou ne veut nous dire sur quelle route.
Décidément il y a là quelque chose que l’on craint de nous laisser voir. Est-ce une partie de cache-cache qu’on nous propose ? Nous nous sentons aussitôt résolus à la jouer jusqu’au bout. Et d’abord il faut obtenir qu’on remette en liberté l’interprète ; il est inadmissible que, tout comme Samba N’Goto, il soitpuni pour nous avoir parlé. Nous demandons son nom ; mais chacun se dérobe et prétend ne pas le savoir. Tout au plus consent-on à nous indiquer, à un ou deux kilomètres du poste, un groupe de cases où vit un indigène, qui connaîtrait l’homme en question. Sous un soleil de plomb nous nous rendons à ce petit village, où nous parvenons à apprendre, non point le nom de l’homme, mais ceux des deux plantons qui l’ont emmené ce matin. Et tandis que nous interrogeons, voici que s’amène, inquiet, soupçonneux, le premier garde, celui qui, hier soir, avait appréhendé l’interprète. Il tient à la main une feuille de papier ; c’est la liste de nos porteurs qu’il nous demande de signer, ce que nous aurions tout aussi bien pu faire plus tard ; grossier prétexte qu’il a trouvé pour nous rejoindre. Il veut savoir qui nous parle et ce qu’on nous dit. Mais nous coupons court à notre interrogatoire, craignant de compromettre d’autres gens ; et comme l’espion semble bien résolu à ne plus nous quitter, nous nous rendons avec lui chez M. Martin, à qui nous racontons toute l’histoire. Hélas ! lui aussi se dérobe ; il ne semble attacher aucune importance à notre récit. Pourtant, sur notre insistance, il se décide enfin à mener un semblant d’enquête et, lorsque nous le retrouvons un peu plus tard, nous annonce que tout va bien et que nous nous inquiétions à tort. Ce n’est point pour ce que nous croyions, mais bien pour un vol de cabris qu’on a coffré l’interprète, récidiviste qui ne mérite pas notre attention. Il nous affirme d’autre part que les enfants qui nous apitoyaient à tort sont tous fort bien nourris. On les a renvoyés dans leurs foyers tout simplement parce qu’ils avaient achevé leur travail, un très léger travail de désherbage. Il y a eu là une conjoncture purement accidentelle ; rien de suspect. Êtes-vous satisfaits ? – Pas encore.
23 décembre.
Notre persévérance aura-t-elle raison de cet embrouillement ? Nous le prenons de plus haut avec le garde « première classe », qui se trouble et, pressé de questions, se contredit, se coupe, finit par avouer que le voleur de cabris dont il parlait à Martin, n’est pas l’interprète, et qu’il a dit cela pour endormir Martin. L’interprète a été emprisonné sitôt après la conversation qu’il a eue avec Marc ; deux plantons l’ont emmené ce matin et, sur la route de Bosoum (celle que nous avions prise et où l’on pouvait être assuré que nous ne repasserions pas) l’ont remis entre les mains du garde Dono, chargé de le « faire travailler ». Le récit d’Adoum était donc exact.
Ceci m’encourage et l’assurance que je prends commence à en imposer aux indigènes. Quelques-uns se décident à parler. Nous avons envoyé chercher Dono, que nous interrogeons à part, malgré les protestations du « première classe ». On nous confirme que les enfants, ce matin, ont tous regagné leur village ainsi qu’un certain nombre de femmes racolées avec ces petits ; ils n’ont pas précisément pris la fuite, on la leur a fait prendre en hâte, car le « première classe » les faisait travailler en dépit de tous règlements. Le « première classe » ne leur donnait rien à manger. Une intelligente Soudanaise, (à qui nous allons rendre visite un peu plus tard) la femme du sergent qui accompagne Marcilhasy dans sa tournée, en avait pris quelques-uns sous sa protection particulière, par pitié, les avait fait venir dans l’enclos avoisinant sa case, les avait réchauffés et nourris. Le « première classe » aurait également laissé jeûner lestravailleurs prestataires qu’il était chargé de nourrir et, de même, depuis six jours,
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