Voyage au Congo
attendre. La lettre de Carnot, où nous l’avisions de la date de notre arrivée à Bosoum, au lieu de l’expédier directement à Bangui, Chambaud, on ne sait pourquoi, l’a dirigée sur Mongoumba, où elle a dû attendre le passage du Largeau : d’où ce retard de quinze jours. En cas de maladie, d’appel à l’aide, cette maladresse eût pu être mortelle.
Un camion suit l’auto, chargé de trois caisses de sel pour Bosangoa. Ces caisses sont trop énormes pour être confiées à des porteurs ; nous décidons donc de garder les nôtres jusqu’au prochain gîte d’étape, où nous rejoindra le camion vide, au retour de Bosangoa.
Le gîte est à l’extrémité d’un petit village dont j’ignore le nom ; non loin coule une rivière, la Bobo, que va traverser notre route. Près du pont, elle fait un coude, forme un bassin profond, limpide, où des enfants se baignent ; puis cache ses abondantes eaux sous l’enveloppement penché des grands arbres.
Grâce à l’auto, l’étape a été peu fatigante. Renonçant à la sieste, nous regagnons la Bobo sitôt après le déjeuner. À peine distinct parmi les hautes herbes, un étroit sentier nous permet d’en remonter le cours. Les arbres ne s’arrêtent pas sur la rive. Ils se penchent, s’étalent au-dessus de l’eau, empiètent et, comme s’ils voulaient traverser, jettent vers l’autre bord des étais plongeants, un large réseau de racines aériennes, anastomose qui tend au ras de l’eau des passerelles. Puis un assez vaste espace s’étend, sous les branches puissantes, largement étalées : l’ombre y est religieuse ; quantité de petits tumulus, régulièrement espacés, soulèvent le sol noir ; on dirait des tombes. Serait-ce un cimetière ? Non. C’est un essai de plantation de café – raté, comme presque tous les autres de la région.
L’auto va nous permettre de gagner Bouca ce soir même. Nous congédions les porteurs, après règlement, et repartons vers deux heures. Un de nos boys monte dans notre auto. Zézé, l’autre boy et le marmiton qui nous suit depuis Carnot, s’entassent fort inconfortablement au-dessus de l’accumulation des bagages, dans le camion. Deux autres marmitons, qui nous suivent depuis Bouar, voudraient ne point nous lâcher ; ils s’attachent à nous comme Dindiki à son perchoir. Pas de place dans les autos ; n’importe ; ils iront à pied ; et en effet, nous les retrouverons le lendemain à Bouca, qu’ils atteignent après avoir marché toute la nuit – et ils avaient déjà marché presque tout le jour. Ils veulent nous suivre jusqu’à Archambault (nous y retrouver du moins). Tant de fidélité m’émeut, encore qu’il y faille voir surtout de la détresse et ce besoin de s’accrocher à n’importe quoi de substantiel, que l’on retrouve chez tous les parasites. Ces deux marmitons, au demeurant, sont affreux, ne savent pas un mot de français et c’est à peine si, depuis Bouar, je leur ai adressé deux fois la parole. Mais c’est déjà beaucoup qu’on ne soit pas brutal envers eux. J’avais donné à chacun un billet de cinq francs ; mais, à Bouca, le matin, devant leur désir persistant de gagner à pied Archambault, je redonne à chacun quelques pièces de cinquante centimes, sachant bien que, faute de menue monnaie, on peut crever de faim avec cinquante francs dans sa poche – car, dans aucun des villages que l’on traverse l’on ne trouve à « changer ». C’est là une des principales difficultés de ce voyage ; avertis, nous avons emporté de Brazzaville des sacs de sous, de pièces de cinquante centimes et de francs.
25 décembre.
Batangafo, où nous arrivons pour déjeuner. La route en auto, paraît paradoxalement plus longue. L’exigence est démesurée ; la monotonie devient plus sensible, car elle est moins dans le détail que dans l’ensemble ; la fuite trop rapide brouille les sensations, fait du gris.
Nous tenterons de gagner Archambault ce même soir, pour tenir la promesse faite à Coppet d’arriver pour la Noël.
Vertigineuse fuite dans la nuit ; le paysage lentement se dépouille et s’ennoblit ; réapparition des rôniers. Dans une clairière, une grande antilope-cheval, tout près de nous, qui ne fuit pas quand l’auto s’arrête ; très miracle de Saint-Hubert. Grands échassiers. Énormes villages saras, aperçus dans la nuit. Les murs en treillis bordent la route. Le camion ne suit plus. Il faut l’attendre. Nous
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