Voyage au Congo
sacs » à arachides, commandés par le chef, pour l’administration, ou tout simplement par insubordination et refus de travailler aux cultures. (À noter que celles-ci, dans le village voisin, sont importantes et comme nous n’en avions point vu depuis longtemps.) Nous entendons dire qu’ils s’étaient fixés depuis un an dans la brousse où ils avaient formé un village. D’après leur propre déposition, ils auraient été maltraités violemment par le chef Koté, et par les gens de son village, qui, après les avoir attachés à des pieux, les auraient couverts d’ordures. Qu’il est difficile de rien savoir, de rien comprendre. Et même, il faut bien l’avouer, la maigreur de ces gens, leur apparente détresse, ne nous paraissent pas très différentes de celles des habitants des villages que nous traversons. Rien de plus misérable que les cahutes où ils vivent, entassés pêle-mêle (telle hutte en contient onze et telle autre treize). Pas un sourire, pas un salut, lorsque l’on passe. Ah ! que nous sommes loin des entrées triomphales dans la région de Nola !… – Et j’aurais dû parler déjà, pour préparer cette rencontre, de l’« opération » conjuguée dont nous parlait Morel, qui commençait la veille de notre départ de Bosoum – pour laquelle Morel envoyait cinq miliciens, (chacun avec vingt-cinq cartouches, et ordre de ne tirer qu’en cas de besoin) lesquels devaient retrouver en un point nommé d’autre miliciens dirigés par trois administrateurs. Les quatre colonnes, en marchant l’une vers l’autre, ne pouvaient laisser échapper certains insoumis irréductibles qui, vivant aux confins de quatre subdivisions limitrophes, passaient de l’une dans l’autre chaque fois que l’administrateur de l’une les poursuivait – ceci depuis longtemps, et jusqu’à ce jour où le Gouverneur Lamblin avait décidé de mettre fin à cette résistance. Fallait-il voir dans le convoi de ce matin un résultat indirect des ordres donnés ?
19 décembre.
Nous partons comme toujours à l’aube. Hier soir, à travers les villages, un assez grand nombre de malades, affreusement maigres – maladie du sommeil ? Et seraient-ce alors des tsé-tsés, ces taons qui depuis deux jours couvrent nos tipoyes et n’attendent que notre inattention pour nous piquer ?
Le pays change d’aspect. Vastes prairies ; arbres plus clairsemés et plus grands. Un de nos porteurs nous signale un troupeau d’antilopes. À deux cents mètres de la route l’œil distingue, parmi les herbes, des taches blondes, une vingtaine… Outhman et un de nos porteurs s’emparent de la carabine et du Moser. Du haut d’un talus, je contemple la chasse. Au premier coup de feu, le troupeau prend la fuite ; toutes les antilopes que l’on voyait, et quantité d’autres que cachaient les trop hautes herbes. J’admire leurs bonds prodigieux. Puis brusquement toutes s’arrêtent, comme obéissant à un mot d’ordre. Mais elles sont déjà trop loin. Le temps manque pour les poursuivre.
Il fait chaud, mais l’air est si sec que nous marchons sans transpirer.
Enfin nous voici devant l’Ouham. Le pays n’a que bien peu changé ; qu’y a-t-il, ou qu’ai-je, qui fasse qu’il me paraît très beau. Une pente insensible mène au fleuve que borde une grande prairie. L’autre rive est un peu plus haute, et sur la gauche, non loin, des collines qu’on est tenté, dans un pays si plat, d’appeler des montagnes. L’Ouham est large comme la Marne ; comme la Seine peut-être… Il en est de ces dimensions comme de la hauteur des arbres… L’échelle est changée. Je gagne le bord du fleuve avec la prétention de pêcher ; mais les herbes du bord sont trop hautes et ma canne à pêche est trop courte ; c’est tout juste si mon poisson de métal peut atteindre l’eau. De très beaux rochers, en aval, rompent le courant. Le soleil se couche au-dessus de la prairie marécageuse qu’on vient d’incendier ; on voit partout des traces de gibier. L’Ouham, en amont des rapides, étend une grande nappe paisible… Décidément, il est aussi large que la Seine… au moins. Ses eaux sont limoneuses ; comme celles de toutes les rivières, depuis Bouar.
20 décembre.
Lever beaucoup trop tôt. Lecture à la lueur insuffisante du photophore en attendant l’aube. Il fait froid. On a l’onglée. Les porteurs avaient allumé de grands feux, qu’ils quittent à regret ; chacun emporte avec lui un tison
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