Voyage au Congo
mal à le porter jusqu’à la pirogue, les pattes liées deux par deux, par-dessus une longue branche. Adoum avait chargé la biche sur ses épaules. Elle était aussi lourde que lui. Quant au phacochère, il devait bien peser autant qu’un Béraud.
Retour en pirogue ; traversée dans la nuit, tout près de l’eau, tout contre l’eau. Équilibre douteux.
Retour à Lamy le 13. Notre voyage à Bol a duré onze jours.
Depuis qu’ils sont en brousse avec nous, nos boys ont de la viande tous les jours. Outhman déclare : « Nous heureux quand nous manger bien, parce que, quand manger bien, pas penser. » Et comme nous lui demandons : « penser à quoi ? » il se défile et parle de son camarade. « Adoum, quand pas manger bien, lui penser à Abécher, penser à sa mère. Plus penser du tout quand bien manger. »
Courrier de France ; mais pas de lettres.
Je relève dans Le Rire, cette légende admirable d’une caricature médiocre :
« Voyons, mon garçon, je vous l’ai déjà dit : si vous ne buviez pas, vous pourriez être caporal.
– C’est vrai, mon capitaine ; mais c’est que, quand j’ai bu, je me crois colonel. »
Dindiki se précipite sur les éphémères {88} , les saisit à pleines petites mains, pour les croquer, comme avec rage.
Étudier l’éthique et l’esthétique de Dindiki. Sa façon particulière de se mouvoir, de se défendre, de se protéger. Chaque animal a su trouver sa manière, hors de laquelle il paraisse qu’il n’y ait pour lui point de salut.
Fort-Lamy, 16 février.
Hier Adoum dormait tranquillement dans une case indigène. Deux blancs arrivent : un sergent et un caporal. Ils veulent une femme, qu’ils pensent qu’on leur cache ou qu’on refuse de leur livrer. Adoum, qui s’était tu d’abord et faisait semblant de dormir, s’interpose quand il voit ces sous-offs allumer de la paille et mettre le feu à la case. – « De quoi se mêle ce sale noir ? Si tu dis un mot on va te foutre au bloc. – Oui, dit Adoum ; c’est vous qui foutez le feu à la case ; et c’est moi qui vais aller au bloc. » Sur ce, le sergent se saisit de lui et lui administre un violent coup de chicotte, dont il porte encore la marque en travers du dos, ce matin. L’incendie qui se déclare attire du monde, dont Zara la procureuse et Alfa, le boy de Coppet, qui conjure Adoum de ne pas protester.
J’apprends ce soir que l’affaire a des suites. Un long rapport est communiqué à Coppet, où l’administrateur-maire réclame énergiquement une sanction, auprès de l’autorité militaire.
Une commande d’appareils de T. S. F. faite en 1923 pour besoins de services en 1924, n’était pas encore arrivée, ni même annoncée à Fort-Lamy au moment de notre départ… Ces retards sont dus, nous explique-t-on, aux complications d’engrenages, les commandes administratives devant être d’abord centralisées au ministère des colonies, par un bureau spécial, où des agents spéciaux sont chargés de s’entremettre avec les fournisseurs. Ces agents, qui n’ont jamais mis les pieds aux colonies, modifient à leur gré et selon leur appréciation particulière, les commandes, ne tenant le plus souvent aucun compte des exigences spécifiées {89} .
Longue visite à Pécaut, le vétérinaire, homme remarquable. Il m’apprend que le papillon rouge que j’ai laissé m’échapper plusieurs fois dans la forêt de Carnot, est particulièrement rare et demandé. Que de reproches je me fais ! Je crois bien que les papillons rouges que j’ai vus (5 ou 6 fois) étaient de deux espèces – ou du moins de deux variétés assez distinctes. Pas très grands ; d’un admirable rouge minium un peu sombre.
Nous partons dans deux jours.
Quatre-vingts porteurs sont commandés à Pouss, que nous gagnerons en baleinières de la compagnie Ouham et Nana.
Pour une meilleure répartition des charges, et l’examen des munitions, Marc ouvre toutes les caisses. Nous constatons que sur les douze touques de farine (10 kilos chacune) emportées de Brazzaville, il n’en est pas une seule qui n’ait été percée de trous par les clous de l’emballage. Ces touques de fer-blanc sont soigneusement soudées, mais, par ces trous, les charançons sont entrés ; et l’humidité a gâté une partie de la farine {90} .
Le 20 février, au matin.
Nous quittons Fort-Lamy en trois baleinières. C’est le retour. Désormais chaque jour me rapproche de
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