Voyage au Congo
de Chiusi. Et tout le long de notre visite, au détour d’un couloir ou lorsque nous débouchons dans une cour, c’est, à l’autre bout, une fuite rapide de femmes et d’enfants qui courent se cacher dans d’autres retraits plus secrets. Très Salomé de Laforgue, et fuite, devant les ambassadeurs, de « l’arachnéen tissu jonquille à pois noirs ». Des escaliers aux marches énormes mènent aux terrasses. Marc y monte, la visite finie, pour tourner quelques films. Auparavant, le sultan nous avait laissés un instant dans une de ces nombreuses petites salles où l’on avait ouvert des chaises pliantes et allumé du feu pour nous recevoir ; et était allé revêtir ses robes d’apparat. Il revient resplendissant ; très simple du reste, amusé, et avec un sourire enfantin. Il nous avait laissés avec un oncle (le frère du sultan défunt) et son fils, un superbe adolescent, réservé et timide comme une jeune fille. Tous deux admirablement vêtus. Le fils particulièrement porte un vaste pantalon de soie grise brodée de bleu foncé (qu’on nous dit venir de Tripolitaine). Tous deux coiffés de petites chéchias de jonc tressé, brodées de laines multicolores. Courtoisie, gentillesse exquise.
Nous repartons à midi.
Arrêt vers trois heures à un nouveau village camerounien.
Grande débandade à notre approche. Petites filles et garçons se sauvent et se cachent comme du gibier. Les premiers que l’on ressaisit servent à apprivoiser les autres ; bientôt tout le village est conquis. Certains de ces enfants sont charmants, qui bientôt se pendent à notre bras, nous cajolent avec une sorte de tendresse lyrique ; mais qui nous disent vite adieu lorsque nousnous approchons du bateau, car ils gardent une certaine crainte qu’on ne les emmène.
Nous avons exprimé le désir de voir de plus près les crocodiles. On attache à la remorque du d’Uzès une pirogue où sont montés deux hommes de ce village. Arrêt vers quatre heures sur rive française. Vite nous prenons place dans la pirogue et traversons l’énorme Chari, gagnant, en face, un vaste banc de sable. Mais il est déjà trop tard pour les crocodiles. Alors nous nous enfonçons dans la brousse avec Adoum et les deux pagayeurs. Nous n’avons pas fait trois cents mètres que Marc tue une grande biche zébrée de blanc. Et cent mètres plus loin nous voici devant un énorme terrier. D’après la description que nous font les indigènes de l’animal qui l’habite, nous croyons comprendre qu’il s’agit d’un fourmilier {87} . Mais à présent le fourmilier a cédé la place à un autre gros animal dont on distingue le mufle, au fond du trou. De ma place je ne puis le voir, mais Marc, qui le voit, met en joue ; le coup ne part pas. Le phacochère, car c’en est un, bondit hors du trou, et à sa suite deux autres très gros et toute une portée de petits. Tout cela nous file dans les jambes ; je ne comprends pas comment aucun de nous n’a été bousculé. Un second coup de fusil abat l’un des trois gros. Adoum reste plié en deux de rire, parce qu’un de nos pagayeurs, pris de peur et voulant reculer, a buté contre une souche et roulé à terre. Encore qu’un des sangliers soit venu droit sur moi, jusqu’à n’être plus distant que de deux mètres, je n’ai pu croire un instant à quelque danger. Du moins veux-je dire qu’il me paraissait évident que l’animal cherchait à fuir et non pas à attaquer. Néanmoins je m’attendais à être renversé, car il était de belle taille, plus gros que celui que venait de tuer Marc ; mais au dernier moment, il a fait un bond de côté. Nous avons continué à battre la campagne, extrêmement excités, mais n’avons plus tué qu’une pintade. Entendu très distinctement le rugissement du lion ; les indigènes disent qu’il y en a un grand nombre. Celui-ci devait être assez près de nous. Le soleil s’était couché, et l’on commençait à ne plus y voir. À grand regret nous dûmes nous résigner à rentrer. La quantité de traces et de fumées sur le sol dépassait ce que l’on peut croire. Certaines paraissaient toutes fraîches, de phacochères, d’antilopes de toutes sortes et de toutes tailles, de fauves, de singes. Cependant nous ne voulions pas abandonner la victime, que nous avions laissée loin derrière nous avec un des hommes, chargé d’en écarter les hyènes ou les chacals. Le phacochère était terriblement lourd et les deux pagayeurs eurent beaucoup de
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