Voyage au Congo
viennent pas dénoncer ses méfaits. Nous demandons au chef s’il ne craint pas que Korami ne lui en veuille de ce qu’il soit venu nous parler. Il redresse la tête, a une sorte de haussement d’épaules et nous fait dire par l’interprète qu’il n’a pas peur.
Nous sommes fort embarrassés de savoir que faire pour ne pas compromettre les autres plaignants. En vain nous cherchons quelque moyen d’intimider Korami et d’empêcher qu’après notre départ il ne les brime. Nous nous décidons à le recevoir d’abord – et lui disons tout aussitôt que nous sommes pressés d’aller faire de la photographie dans son village. En quelques instants nous prenons notre breakfast, et partons escortés par tous ces gens. Cependant, en arrière de Korami, nous faisons dire aux plaignants qu’ils n’ont qu’à revenir vers midi.
Village dans le sable. Cases en roseaux, toutes distantes les unes des autres. Des chèvres partout, en troupeaux énormes, blanches pour la plupart. Cellesqui nourrissent, attachées par la patte à des piquets, branches dépouillées d’écorce, fichées dans le sable.
Au sortir du village, nous avons pris congé de Korami, désireux qu’il ne vînt pas jusqu’au bateau où devaient nous retrouver les plaignants. Mais bientôt, la curiosité le poussant, il est venu nous retrouver tout de même. Nouveaux adieux. – Il part mais laisse derrière lui trois de ses gardes. Ceux-ci restent obstinément sur la rive, attendant le départ de notre bateau et manifestement chargés de désigner à Korami tous ceux qui seront venus nous parler (ces gardes sont ceux, précisément, qui ont frappé les indigènes) ; nous les faisons venir, leur demandons s’ils ont quelque chose à nous dire ; et, si rien, pourquoi restent-ils là ? Ils répondent que c’est la coutume, pour honorer un blanc de condition. Je leur montre que j’ai déjà relevé leurs noms, leur demande s’ils savent qu’il y a un nouveau gouverneur, leur dis que je viens tout exprès parce que je sais qu’il y a « des choses pas bien » qui se passent ici, mais que tous les méfaits seront punis, et qu’ils peuvent le redire à leur chef. Ils protestent alors fort habilement que leur chef et eux-mêmes n’agissent que d’après les ordres et indications des chefs blancs.
(Évidemment si le sergent de Bol était plus puissant, moins débordé, ce serait à lui de veiller à tout et d’empêcher les exactions.)
Encore un tas d’enfants, espions possibles, qu’il faut également renvoyer. Ils étaient bien, d’abord, une soixantaine de gens sur la rive. Elle se vide peu à peu. Nous remontons à bord avec quatre des plaignants de la veille et du matin. Ils me supplient de leur donner un papier de mon écriture, qui les mette à l’abri du ressentiment de Korami. Celui-ci ne leur pardonnera pas de m’avoir parlé ! Un papier de moi, croient-ils, peut empêcher qu’on ne les frappe. Je leur laisse enfin une lettre sous enveloppe à l’adresse de Coppet, qu’ils puissent envoyer à Fort-Lamy, si on les embête. Ils sont manifestement reconnaissants de ce peu que je fais pour eux. L’un d’eux, le plus âgé, prend mes mains et les serre fortement, longuement. Ses yeux sont pleins de larmes et ses lèvres tremblent. Cette émotion, qui ne peut s’exprimer en paroles, me bouleverse. Certainement il voit combien je suis ému moi-même et ses regards se chargent de reconnaissance, d’amour. Quelle tristesse, quelle noblesse dans ce pauvre être que je voudrais presser dans mes bras !… Nous partons.
C’en est fait. Nous avons atteint le point extrême de notre voyage. À présent c’est déjà le retour. Non sans regret, je dis un adieu, sans doute définitif, à tout l’au-delà du Tchad. (Occasion peut-être de dire ce qui m’attire tant dans le désert {86} .) Jamais je ne me suis senti plus vaillant.
Sicherlich, es muss das Beste
Irgendwo zu finden sein.
Passé la nuit, blottis contre une île, entre les touffes de papyrus ; un peu à l’abri – ce qui n’a pas empêché le navire de chahuter toute la nuit, avec un vacarme de chaînes, de baleinières cognées, de portes claquantes – qui a complètement empêché le sommeil.
Levé l’ancre de très bonne heure – mais pour une série d’échouages successifs. L’eau balaie le pont de l’arrière ; nous ne savons où nous tenir et comment mettre à l’abri nos lits et nos affaires. Je crois que le brave capitaine s’est un peu
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