Voyage de J. Cartier au Canada
fleuve, à une ysle qui est le travers du Saguenay, ou ilz estoient a passer la nuict tendans aller à Honguedo leur mener la guerre, avec environ deux cens personnes tant hommes femmes qu'enfans. Lesquelz furent surprins en dormant dedans ung fort, qu'ilz avoient faict, ou misrent lesdictz Trudamans le feu tout à l'entour et comme ilz sortoient les tuerent tous reservé cinq qui eschapperent.
De laquelle destrousse se plaignoient encores fort, nous monstrant qu'ilz en auroient vengeance. Apres lesquelles choses, nous reterasmes à noz navires.
De la facon de vivre du peuple de la dicte terre, et de certaines conditions creance et facon de faire qu'ilz ont.
Ledict peuple n'a aucune creance de Dieu, car ilz croient a ung qu'ilz appellent Cudragny, et disent qu'ilz parlent souvent à eulx et leur dict le temps qu'il doibt faire. Ilz disent aussi quand il se courouce à eulx, qu'il leur gecte de la terre aux yeulx. Ilz croyent aussi quand ilz tespassent, qu'ilz vont es estoilles, puis viennent baissans en lorrizon comme les dictes estoilles. Et s'envont en beaulx champs, vers plains de beaulx arbres, fleurs et fruictz sumptueux. Apres qu'ilz nous eurent donné le tout a entendre, nous leur avons remonstré leur erreur, et dict que leur Cudragny est ung mauvais esperit, qui les abuse et dict qu'il n'est que ung Dieu, qui est au ciel, lequel nous donne toutes choses necessaires, et est createur de toutes choses et que cestuy debvons croire seulement, et qu'il fault estre baptisez, ou aller en enfer, et leur feust remonstré plusieurs aultres choses de nostre foy. Ce que facilement ilz ont creu, et appellé leur Cudragny, Agouionda, tellement que plusieurs fois ont prié nostre cappitaine les faire baptiser, et y sont venuz ledict seigneur Taignoagny, Dom agaya, et tout le peuple de leur ville pour le cuyder estre : mais par ce que ne scavions leur intention et couraige, et qu'il n'y avoit qui leur remonstrant la foy pour lors, feust prins excuse vers eulx. Et dict à Taignoagny et Dom agaya, qu'ilz leur feissent entendre que retourneryons ung aultre voyage, et apporterions des prestres et du cresme, leur donnant a entendre pour excuse, que lon ne peult baptiser sans ledict cresme, Ce qui croient, par ce que plusieurs enfans ont veu baptiser en Bretaigne.
Et de la promesse que leur fust faicte de retourner furent tresjoyeulx.
Cedict peuple vit en communaulté de biens assez de la sorte des Brisilans, et sont vestus de peaulx de bestes sauvaiges, et assez povrement. L'yver ilz sont chaulsez de chausses et soulliez qu'ilz fond de peaulx : et l'esté vont nudz piedz. Ilz gardent l'ordre de mariage, fors qu'ilz prennent deux ou trois femmes, et depuis que leur mary est mort jamais ne se remarient, ains font le dueil de la dicte mort toute leur vie, et se taignent le visaige de charbon pellé, et de gresse espez comme l'espesseur du doz d'ung cousteau, et a cela congnoist on que elles sont veuves.
Ilz ont une aultre coustume fort mauvaise de leurs filles, car depuis qu'elles sont d'aage d'aller à l'homme, elles sont toutes mises en une maison de bordeau, habandonnées à tout le monde qui en veult, jusques à ce que elles ayent trouvé leur party. Et tout ce avons veu par experience, car nous avons veu les maisons plaines des dictes filles, comme est une eschole de garsons en France. Et d'avantaige le hazard selon leur mode tient esdictes maisons ou ilz jouent tout ce qu'ilz ont jusques à la couverture de leur nature.
Ilz ne font point de grand travail, et labourent leur terre avec petis boys, comme de la grandeur d'une demye espée, ou ilz font leur bled, qu'ilz appellent Osizy. Lequel est gros comme poix, et de ce mesme en croist assez au bresil. Pareillement ilz on grand quantité de gros melons, concombres, et courges, poix, et febves, et de toutes couleurs, non de la sorte des nostres. Ilz ont aussi une herbe de quoy ilz font grand amastz l'esté durand pour l'yver. Laquelle ilz estiment fort et en usent les homes seulement en facon que ensuit.
Ilz la font seicher au soleil, et la portent à leur col en une petite peau de beste en lieu de sac, avec ung cornet de pierre ou de boys : puis à toute heure font pouldre de ladicte herbe, et la mettent en l'ung des boutz dudict cornet, puis mettent un charbon de feu dessus, et sussent par l'autre bout, tant qu'ilz s'emplent le corps de fumée, tellement qu'elle leur sort par la bouche, et par les nazilles, comme par ung tuyau et chauldement, et ne vont jamais sans avoir
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