Voyage en Germanie
faire comme si cette dernière était un modèle de modestie réservée, se contentant d’attendre un prince désœuvré avec qui passer la journée.
— Ah ! merci, répliquai-je avec amertume.
Titus décocha à Helena Justina un coup d’œil appréciatif qui me donna le sentiment d’être hors du coup. Il lui avait toujours voué de l’admiration, et cela m’avait toujours horripilé. Je fus soulagé de constater que contrairement à ce qu’elle m’avait annoncé, elle ne s’était pas peint les yeux comme si elle attendait un visiteur. Elle était délicieuse, dans une robe rouge que j’aimais beaucoup, des agates ornant les fins anneaux d’or qui se balançaient à ses oreilles, ses cheveux bruns simplement relevés en torsades maintenues par des peignes. Helena avait un visage aux traits nets, à l’expression vive. Si elle témoignait un peu trop de sang-froid en public, dans l’intimité elle fondait comme du miel dans la tiédeur du soleil. J’adorais cela, du moment que j’étais le seul pour qui elle fondait.
— J’ai tendance à oublier que vous vous connaissez, tous les deux ! lança Titus.
Helena garda le silence, me laissant le soin d’expliquer à Sa Césarine Grandeur dans quelle mesure nous nous connaissions. Je m’en abstins mordicus. Titus était mon client : s’il me confiait une mission, je l’exécuterais diligemment pour lui… mais aucun beau gosse de la haute ne régirait jamais ma vie.
— Que puis-je pour toi ?
Vis-à-vis de toute autre personne, mon ton serait passé pour agressif, mais nul ne saurait apprécier la vie et proférer des menaces à l’égard du fils de l’empereur.
— Mon père souhaiterait te parler, Falco.
— Les bouffons du palais sont donc en grève ? Si Vespasien est à court de rires, je vais voir ce que je peux faire.
À deux mètres de distance, Helena me darda un regard sombre d’une fixité impitoyable.
— Merci, répondit Titus sans la moindre aigreur.
Sa suave amabilité me donnait toujours l’impression qu’il avait repéré sur ma tunique l’éclaboussure de poisson en sauce datant de la veille, impression qui m’incommodait fortement sous mon propre toit.
— Nous avons une proposition à te soumettre…
— Ah ! bon, répondis-je d’un air maussade, grimaçant un rictus pour lui faire comprendre que j’avais été prévenu de la teneur de la besogne.
Il cessa de s’appuyer contre la porte coulissante, qui fléchit dangereusement mais tint bon, et esquissa un petit geste en direction d’Helena, signifiant par là que cette jeune femme étant, à son avis, venue pour parler affaires, il ne comptait pas s’imposer. Helena se leva poliment lorsqu’il se dirigea vers la porte, mais me laissa le raccompagner comme si j’étais le seul maître de maison.
De retour, je commençai à bricoler la porte branlante.
— Il va falloir que quelqu’un prévienne Sa Grandeur de ne pas adosser son auguste personne contre le mobilier des plébéiens…
Helena garda le silence.
— Tu as ton air guindé, ma chérie. Je me suis montré grossier ?
— Je suppose que Titus en a l’habitude, rétorqua Helena d’un ton égal.
J’avais omis de l’embrasser ; je savais qu’elle s’en était rendu compte. J’en avais envie, mais il était trop tard à présent.
— Le fait que Titus soit si abordable doit faire oublier aux gens qu’ils s’adressent à un César, partenaire de l’empereur et futur empereur lui-même.
— Titus Vespasien n’oublie jamais qui il est !
— Ne sois pas méchant, Marcus.
Je serrai les dents.
— Que voulait-il ?
Helena parut étonnée.
— Te demander d’aller voir l’empereur… probablement pour parler de la Germanie.
— Pour me demander ça, il aurait pu envoyer un messager. (Bien entendu, comme Helena commençait à avoir l’air fâché contre moi, je me butai de plus belle :) À défaut, il aurait très bien pu profiter de ce qu’il était là pour parler lui-même de la Germanie. Et dans la plus stricte intimité avec ça, si la mission est délicate.
Helena croisa les mains à hauteur de taille et ferma les paupières, refusant de se disputer. Étant donné qu’en temps normal, elle me tombait dessus à la plus petite occasion, cette attitude en soi était de mauvais augure.
Je la laissai seule sur le balcon et allai me vautrer à l’intérieur. Il y avait une lettre sur la table.
— C’est pour moi, ce manuscrit ?
— Il est à moi, lança-t-elle. Ça vient
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