Voyage en Germanie

n’était pas tombée amoureuse de moi, Helena aurait parfaitement correspondu au genre de femme que devait chercher Titus.
    — C’est avec toi que j’ai choisi de vivre, Marcus Didius.
    — Pourquoi me dire ça, subitement ?
    — À voir ta mine, on pourrait croire que tu l’as oublié, répondit Helena.
    Même si elle me quittait demain, je ne pourrais jamais oublier. Mais cela ne signifiait pas pour autant que je puisse envisager notre avenir avec la moindre certitude.

4
    Une semaine étrange suivit. Je me sentais oppressé par la perspective de l’épouvantable voyage en Germanie dont la menace pesait au-dessus de ma tête. C’était du travail – chose que je ne pouvais pas me permettre de refuser –, mais les promenades aux confins des territoires occupés par les tribus barbares d’Europe venaient en tête de ma liste d’activités à fuir.
    En outre, je me surpris à fouiller l’appartement dans le but de trouver des traces d’un éventuel passage de Titus. Il n’y en avait pas, mais Helena remarqua mon manège, ce qui accrut la tension.
    Mon annonce du Forum m’amena d’abord un esclave qui ne pourrait visiblement pas me payer. Qui plus est, il recherchait son frère jumeau perdu de vue depuis longtemps, ce qu’un dramaturge de seconde zone considérerait sans doute comme une noble quête, mais qui me parut une mission fastidieuse. Là-dessus, deux commis prirent contact avec moi, qui cherchaient fortune, puis une folle persuadée que Néron était son père – lorsqu’elle émit le souhait que j’en établisse la preuve, je compris qu’elle était siphonnée –, et un chasseur de rats. Le personnage le plus intéressant était le chasseur de rats, mais il n’avait pas de permis de séjour. Ça n’aurait guère nécessité qu’une petite journée dans le bureau du Censeur, mais je ne me mêle pas de faux papiers, même pour les personnalités intéressantes.
    Petronius Longus m’envoya une femme qui souhaitait savoir si son mari, marié une première fois par le passé, n’avait pas d’enfants cachés. Je réussis à lui apprendre qu’il n’en avait pas de reconnus. Au cours de mon enquête, je découvris une épouse supplémentaire, dont l’homme n’avait jamais divorcé. La femme en question était désormais l’heureuse épouse d’un cuisinier spécialiste en volailles – j’emploie « heureuse » au sens conventionnel ; je suppose qu’elle enrageait autant que n’importe qui dans la vie. Je décidai de ne pas en avertir ma cliente. Un bon détective répond aux questions qu’on lui a posées… puis tire sa révérence.
    L’enquête de Petro rapporta assez d’argent pour que nous mangions du rouget au dîner. Avec la petite monnaie, j’achetai des roses pour Helena, en espérant passer pour un homme plein de perspectives. La soirée aurait dû être agréable, mais Helena choisit ce moment précis pour m’annoncer qu’elle avait des projets de son côté, Titus l’ayant invitée au palais en compagnie de ses parents, mais sans moi.
    — Laisse-moi deviner… Petit souper discret qui ne figurera pas sur la liste des réjouissances publiques ? C’est pour quand ?
    Je la vis hésiter.
    — Jeudi.
    — Tu penses y aller ?
    — Je n’en ai vraiment pas envie.
    Helena avait le visage crispé. Pour peu que sa famille respectable et huppée ait un jour vent d’une possibilité de liaison avec la vedette de la cour impériale, Helena ferait l’objet d’une pression insupportable. Quitter la maison de ses parents quand ces derniers n’avaient pas d’autre projet pour elle était une chose. Compte tenu du malheureux mariage précédent de sa fille, Camillus Verus m’avait déclaré en toute franchise qu’il hésitait à lui conseiller de réitérer l’expérience. C’était un personnage sortant de l’ordinaire : un père consciencieux. Cela dit, la fuite de leur fille avait dû provoquer des remous. Helena m’avait épargné la majeure partie du tir de barrage, mais je ne suis pas tombé de la dernière pluie. Ses parents souhaitaient qu’elle regagne le domicile paternel avant que tout Rome apprenne qu’elle batifolait en compagnie d’un infâme détective, et que les poètes satiriques se mettent à rédiger des odes salaces à propos de ce scandale.
    — Oh ! Marcus, Marcus, je tiens vraiment à ce que tu passes cette soirée-là avec moi…
    Helena semblait tracassée. Elle pensait qu’il m’appartenait d’intervenir, mais je ne pouvais rien