Voyage en Germanie

sourire suffisant qui signifiait que jamais les femmes – fussent-elles des filles de sénateurs intelligentes et bien éduquées – ne comprendraient les subtilités de la politique ; à quoi Helena répondit en m’expédiant hors du lit d’une franche poussée.
    — Il faut qu’on mange, Marcus. Va trouver du travail !
    — Mais toi, qu’est-ce que tu vas faire ?
    — Passer une ou deux heures à me peindre la figure, si jamais mon amant passe me voir.
    — Bon, très bien ! Je m’en vais, je lui cède la place…
    Nous plaisantions à propos de l’amant. Enfin, je l’espérais.

2
    Au Forum, la vie suivait son cours comme à l’accoutumée. L’heure était à la panique pour les juristes. Le dernier jour du mois d’août étant aussi le dernier moment auquel présenter de nouvelles affaires avant la trêve d’hiver, la Basilica Julia bruissait comme une ruche. Nous avions atteint les nones de septembre, aussi la plupart des avocats, les joues encore colorées par leurs vacances à Baies, bouclaient-ils hâtivement quelques affaires pressées avant la fermeture des tribunaux, histoire de justifier leur niveau de vie. Ils dépêchaient sur l’esplanade du Rostrum leurs bruyants rabatteurs habituels qui graissaient la patte du passant pour l’entraîner à l’intérieur de la Basilica et soutenir la défense à grands renforts de slogans enthousiastes. Je me frayai un passage, les écartant d’un coup d’épaule.
    À l’ombre du Palatin, une procession léthargique formée des membres de l’un des collèges religieux se dirigeait vers la Maison des Vestales dans le sillage d’une Vierge âgée à robe blanche. Celle-ci décocha alentour un coup d’œil vindicatif de vieille dame givrée à qui des durs à cuire témoignent du respect à longueur de journée. Pendant ce temps-là, sur les marches des temples de Saturne et Castor, se prélassaient des foules d’oisifs assoiffés de sexe et reluquant tout ce qui semblait sifflable – femmes ou autres. Un édile furibond ordonnait à son imposante suite de déplacer un ivrogne ayant eu le mauvais goût de s’effondrer sur le cadran solaire gravé par terre au pied du Milliaire d’or. Il faisait encore une chaleur estivale. Un fort relent de crottin d’âne chaud dominait.
    Tout récemment, j’avais avisé un pan de mur le long du Tabularium. Étant venu armé d’une éponge, je fis disparaître en quelques coups judicieux les rodomontades électorales qui souillaient l’antique pierre de taille : Avec le soutien de toutes les Manucures des Bains Agrippa… l’habituel candidat frelaté. Une fois gommées de notre patrimoine architectural, ses ignobles foutaises laissèrent un bon espace, pile à hauteur du regard, où je pus inscrire à la craie mon graffiti personnel :
    Didius Falco
    Pour toutes enquêtes discrètes
    juridiques ou domestiques
    Bonnes références
    Tarifs très modérés
    À la Blanchisserie de l’Aigle
    Place de la Fontaine
    Attrayant, non ?
    Je savais qui mon annonce allait probablement ramener : de sournois commis des services d’importation réclamant des renseignements sur la santé pécuniaire des riches veuves qu’ils courtisaient, ou les serveurs des estaminets de quartier, inquiets de la disparition d’une fille.
    Les commis ne paient jamais, mais les serveurs ont leur utilité, eux. Un détective privé peut passer des semaines à rechercher des femmes disparues, puis, lorsqu’il se lasse de traîner la semelle dans les débits de boisson – s’il se lasse un jour –, il lui suffit de faire remarquer au client qu’en général, on retrouve les serveuses disparues, crâne défoncé, sous le plancher du domicile de leur amant. Généralement aussi, les factures des recherches effectuées sont alors acquittées ultra-rapidement, après quoi il arrive même parfois que les serveurs quittent la ville pour une assez longue durée – avantage supplémentaire pour Rome. J’aime sentir que mon travail profite à la communauté.
    Bien entendu, un serveur peut se révéler calamiteux. La fille a peut-être réellement disparu, pris la fuite avec un gladiateur, si bien qu’on passe quand même des semaines à la chercher, pour finalement se prendre d’une telle compassion à l’égard du pauvre benêt ayant perdu sa chérie de bas étage qu’on n’a pas le cœur à lui demander des honoraires…
     
    Je me rendis aux bains pour m’exercer un peu avec mon entraîneur, simplement dans l’éventualité où