1941-Le monde prend feu
d’eux,
emportés qu’ils sont par leur enthousiasme patriotique et guerrier.
Et cependant, von Kageneck, fils d’un aide de camp de l’empereur
Guillaume II, neveu de von Papen – chancelier du Reich avant l’arrivée
de Hitler au pouvoir –, peut obtenir des informations sur la situation en
Pologne et sur les événements qui se préparent. Mais quand un ami de la famille
l’interroge sur ce qu’il pense de l’avenir, après les victoires allemandes dans
les Balkans et l’offensive de Rommel vers l’Égypte, Kageneck répond :
« Nous allons prendre les Anglais à revers. »
Son interlocuteur, ancien ambassadeur à Rome, ricane :
« C’est le commencement de la fin, mon pauvre petit. En
attaquant dans les Balkans, Hitler n’a pas visé les Anglais mais les Russes. Dans
quelques mois, ce sera la guerre avec la Russie et nous ne pourrons pas la
gagner. »
Mais comment Kageneck, qui n’a pas dix-neuf ans, qui vient d’être
promu lieutenant, qui est issu d’une famille liée aux traditions militaires et
impériales – l’un de ses frères est un des héros de la Luftwaffe, décoré
par le Führer –, pourrait-il renoncer à l’enthousiasme ?
Aux côtés de dix mille autres nouveaux lieutenants, il a été
présenté au Führer dans l’immense rotonde du Sportspalast de Berlin.
Comment ne pas être grisé par cette force juvénile, disciplinée,
représentant toutes les régions du Reich, toutes les armes ?
Ceux de la Kriegsmarine portent un uniforme bleu foncé, ceux
de la Luftwaffe sont en bleu clair. Les lieutenants de l’armée de terre – Heer –
sont en vert-de-gris. Kageneck porte l’uniforme noir à tête de mort – héritée
de la cavalerie – des Panzers.
Un peu à part se tiennent, en feldgrau tirant sur le vert, les
lieutenants des Waffen-SS. Ils encadreront l’armée privée de Himmler qui compte
déjà cinq divisions.
Kageneck, qui les a côtoyés à l’École de guerre, sait qu’ils
sont soumis à une discipline de fer, et fanatisés.
Un ordre. Tous se lèvent.
Kageneck aperçoit le Führer qui remonte le couloir central
jusqu’à une petite tribune.
« Sa vareuse verte est décorée de la seule croix de fer.
Le silence est total. Les dix mille lieutenants sont debout au garde-à-vous. »
« Heil leutnante, s’écrie Hitler.
— Heil mein Führer », répondent les jeunes
officiers.
Hitler parle d’une voix hachée.
Discipline, tradition, Frédéric le Grand, le Grand Reich :
les mots retentissent comme autant de commandements.
Le suprême devoir de l’officier est, dans la vie comme dans
la mort, d’être un exemple pour ses hommes, répète le Führer.
Il exige l’obéissance absolue à ses ordres, « même ceux
qui pourraient paraître insensés ».
« Heil leutnante ! » conclut Hitler.
« Il quitte le Sportspalast, dans un silence total, les
mains enfoncées dans le ceinturon. »
Von Kageneck rejoint le bataillon de reconnaissance de la IX e Panzerdivision
auquel il a été affecté.
Il ne sait pas que quatre groupes d’intervention du Service
de sécurité SS ont été constitués pour appliquer la Kommissarbefehl.
Ils agiront de leur propre initiative, liquidant les « commissaires »
judéo-bolcheviques.
Des unités de police ont été créées, avec le même objectif :
exécuter tous les fonctionnaires communistes, commissaires du peuple, Juifs
occupant des fonctions dans l’État ou le parti communiste, ainsi que tout autre
« élément radical ».
Kageneck ignore que plusieurs généraux – Walter von
Reichenau, Erich von Manstein, Karl Henrich von Stülpnagel – ont émis des
ordres de marche, qui révèlent le sens de la guerre contre la Russie que tout
annonce.
Celui du général Erich Hoepner, publié le 2 mai 1941, est
sans équivoque :
« La guerre contre la Russie est une étape fondamentale
de la lutte du peuple allemand pour la survie.
« C’est la lutte ancestrale des Allemands contre les
Slaves, la défense de la culture européenne contre le déluge moscovite et
asiatique, la défense contre le bolchevisme juif.
« Cette lutte doit avoir pour objectif de réduire la
Russie d’aujourd’hui en miettes et doit par conséquent être menée avec une
dureté sans précédent. »
Mais von Kageneck, le visage fouetté par l’air printanier, roule
vers l’est, debout dans la tourelle de son automitrailleuse.
Derrière, aussi loin que porte
Weitere Kostenlose Bücher