1942-Le jour se lève
grimace.
— Darlan me dégoûte, conclut-il.
De Gaulle secoue la tête.
— Je ne vous comprends pas, dit-il. Vous faites la
guerre depuis le premier jour… Vous êtes cette guerre… Vos armées sont
victorieuses en Libye et vous vous mettez à la remorque des États-Unis alors
que jamais un soldat américain n’a vu encore un soldat allemand. C’est à vous
de prendre la direction morale de cette guerre. L’opinion publique européenne
sera derrière vous.
Churchill écarquille les yeux, comme si cette idée le
frappait de stupeur.
— Restons en contact étroit, dit-il, venez me voir
aussi souvent que vous le voulez, tous les jours, si vous le désirez.
À quoi servent ces bonnes paroles ? s’indigne de Gaulle
quelques jours plus tard. Il vient de recevoir un avis de la BBC : sur
ordre du Premier ministre, on refuse de le laisser intervenir, on censure la
lecture des communiqués de la Résistance hostiles à la politique alliée en
Afrique du Nord. Et pendant ce temps, à Alger, une radio contrôlée par les
Américains diffuse les communiqués de Darlan, précédés des mots « Honneur
et Patrie » comme lors des messages de De Gaulle. De Gaulle interpelle
Eden : pourquoi la BBC endosse-t-elle cette escroquerie ? Pourquoi
lui interdit-on de parler ?
Eden, gêné, baisse la tête, explique que, pour les émissions
concernant l’Afrique du Nord, « il faut l’accord des États-Unis ». Il
murmure : « La réponse exige des délais dont le gouvernement
britannique s’excuse ! »
Pourquoi commenter ces propos ? Il faut être
indépendant, voilà la leçon ! Et de Gaulle décide que les radios de la
France Combattante, à Brazzaville, à Beyrouth, à Douala, diffuseront les
messages censurés par les gouvernements américain et anglais.
Jour après jour, il faut dénoncer le « pétainisme »
d’Alger, des généraux et des amiraux, de tous ceux qui hissent les voiles parce
que le vent a tourné, que du Pacifique à la Volga, des îles Salomon à
Stalingrad, des Aléoutiennes à la Libye, Allemands, Italiens, Japonais reculent.
C’est bien « la fin du commencement », et le
tunnel qui commence à s’éclairer dont parlaient Churchill et de Gaulle, sans
illusions sur les difficultés qu’il faudrait affronter, mais avec la certitude
de la victoire.
Les « collaborateurs » sont eux-mêmes persuadés de
leur isolement.
Avant d’être arrêté par les SS, le général Weygand a dit à
Pierre Laval :
— Vous n’avez pas le droit de pratiquer une politique
réprouvée par 95 % des Français.
— Vous pouvez dire par 98 %, a répondu Laval ;
mais je ferai le bonheur des Français malgré eux !
En fait, Laval louvoie.
Il refuse de céder aux Allemands qui, multipliant les
diktats menaçants, exigent du « gouvernement français » qu’il déclare
la guerre aux États-Unis et à l’Angleterre.
Laval tergiverse, se dérobe, pousse le maréchal Pétain à l’abdication :
— Il ne faut pas vous mouiller, monsieur le Maréchal, moi
je suis là pour me compromettre.
Et il justifie auprès des ministres cette soif de pouvoir :
« En refusant de déclarer la guerre aux États-Unis et à
l’Angleterre, j’ai repoussé une importante demande de l’Allemagne. Je dois lui
donner une compensation et cette compensation, c’est que je prenne les pleins
pouvoirs. »
Les Allemands ne se satisfont pas de cette « compensation ».
Le 18 novembre, ils somment le « gouvernement
français » de « déclarer la guerre immédiatement à l’Amérique et de
lever des légions impériales pour combattre en Afrique… Le gouvernement a un
délai de vingt-quatre heures pour répondre. Ce délai passé, sans réponse
favorable, l’armistice pourrait être rompu et la France administrée comme la
Pologne ».
Chantage ! Jeu de rôles !
En fait, l’armistice est rompu depuis une semaine déjà !
Quant à Laval, dans une allocution radiodiffusée, il annonce
la création d’une Légion de volontaires pour défendre l’Empire.
« La France ne s’avoue pas vaincue, répète-t-il. Le
jour viendra où le drapeau français flottera seul sur Alger… »
Des mots, seulement des mots !
Qui peut croire que Laval a les moyens de créer cette Légion
de volontaires ?
Au vrai, le gouvernement fantoche que préside Laval est
emporté comme fétu de paille par le cours de la guerre.
Les « ministres » démissionnent.
Le
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