1943-Le souffle de la victoire
suffit de faire un geste et le pays sera sauvé. »
De Gaulle repousse le feuillet qui rapporte des propos du
général Chambre, un proche de Giraud. Il hausse les épaules. Comme si l’on
pouvait décréter Giraud « personnage de l’Histoire de France » !
Savent-ils ce que c’est un destin national, ceux qui pensent
cela ?
De Gaulle est seul dans son bureau.
Ces premiers jours de novembre 1943, malgré l’éclat d’une
lumière encore chaude, serrent le cœur par leur brièveté. Le soleil paraît
aussi brillant qu’au printemps, mais tout à coup, tout se dérobe, et dans le
jardin l’ombre s’étend.
De Gaulle marche lentement. Il fume.
Il y a un an seulement, jour pour jour, le 8 novembre
1942, les troupes françaises ouvraient le feu sur les Américains qui
débarquaient. Et commençait ici, à Alger, au Maroc, ce grand jeu dont le but
était destiné à soumettre la France Combattante et à faire que les hommes de
Vichy gardent sous l’autorité anglo-américaine les pouvoirs qui étaient les
leurs sous la domination allemande.
Tout cela, il l’a empêché. Il pense à ces hommes dont il a
été la voix. Jean Moulin, le général Delestraint, trahis, arrêtés, torturés, morts
sans doute.
À ceux qui, comme Pierre Brossolette, sont en mission en
France. Il imagine Brossolette traqué dans Paris. Il se répète une phrase de
Mauriac qui l’émeut : « On dirait que Paris, accroupi au bord de son
fleuve, cache sa face dans ses bras repliés. »
Des vers lui reviennent qu’il a cités dans son dernier
discours, vers d’Aragon qui parlent, parce que ainsi sont les temps de guerre, de
la mort et de la patrie :
Qu’importe
que je meure avant que se dessine
Le visage
sacré, s’il doit renaître un jour ?…
Ma patrie est
la faim, la misère et l’amour.
Et ceux de Jean Amy qui évoquent les patriotes fusillés :
Ce sang ne
séchera jamais sur cette terre
Et ces morts
abattus resteront exposés,
Nous
grincerons des dents à force de nous taire
Nous ne
pleurerons pas sur ces croix renversées
Mais nous
nous souviendrons de ces morts sans mémoire
Nous
compterons nos morts comme on les a comptés.
Et puis, alors qu’il rentre car brusquement avec la nuit le
froid s’est installé, il se souvient de ces vers d’Edmond Rostand, qui
remontent de son enfance, qui font revivre tant de souvenirs, le père, la mère,
et leur passion pour la France, devenue sienne.
Il murmure :
Je ne veux
voir que la victoire !
Ne me
demandez pas : après ?
Après ! Je
veux bien la nuit noire
Et le soleil
sous les cyprès !
Ces mots ne sont pas ceux de la nostalgie. Ils expriment la
réalité.
Ils provoquent le désarroi, l’angoisse et même la panique
des hommes qui se sont ensevelis dans la collaboration.
À Vichy, autour de Pétain, on est convaincu, en cet automne
1943, de la défaite nazie.
Nombreux sont ceux qui changent de camp, veulent avoir leur « carte »
de résistant. D’autres s’obstinent, trop compromis pour espérer l’oubli et la
clémence.
Un proche de Pétain confie :
« Laval est devenu impossible ; je ne sais s’il
croit vraiment à la victoire allemande, mais il parle comme s’il y croyait
vraiment. Il fait l’unanimité contre lui et entraîne le Maréchal dans son
impopularité. »
Tout cela – en dépit de la répression qu’exerce la
Milice « française », auxiliaire de la Gestapo – est condamné et
chacun en France le sait.
Le cœur de la nation bat à Alger. Là se dessine l’avenir de
la nation.
Les Alliés sont bien contraints d’en prendre acte.
Il a été – enfin ! – décidé que des troupes
françaises participeraient à la campagne d’Italie.
Un corps expéditionnaire français est constitué. Mais il
faut d’abord réaliser l’amalgame entre l’« armée d’Afrique » – longtemps
pétainiste… et patriote – et les Forces Françaises Libres – les FFL, ces Fous Furieux de Liberté.
Le général Juin – un condisciple de De Gaulle à
Saint-Cyr qui ne s’est rallié à la France Libre qu’au début de 1943 – est
chargé de réaliser cette unité.
Le 25 novembre 1943, les premières troupes françaises
débarquent à Naples. Mais ces 65 000 hommes et 12 000 véhicules
sont peu de chose par rapport aux 1 300 000 hommes mobilisés
(1 076 000 Français de souche européenne, 233 000 musulmans
d’Algérie, de Tunisie et du Maroc,
Weitere Kostenlose Bücher