1943-Le souffle de la victoire
quelques misérables,
à cause de tout le sang que nous venions de répandre de 1914 à 1918…
« Mais depuis 1939, que de combats, de sacrifices ! »
De Gaulle les énumère parce que, en cet automne 1943, qui, sinon
lui, les mesure, les exalte ?
« Cent trente-cinq mille Français sont morts sur les
champs de bataille, 55 000 ont été tués aux pelotons d’exécution, plus de
100 000 ont succombé dans les camps ou les prisons de l’ennemi ou de ses
complices, deux millions sont prisonniers de guerre, près d’un million de nos
petits-enfants ont péri faute de nourriture suffisante, et le peuple français
tout entier vit sous un régime effroyable de famine, de délation et d’oppression. »
Mais en cet automne, le souffle de la victoire soulève les
enthousiasmes.
Oui, le pays sera vengé.
Dans son bureau de la villa des Glycines, de Gaulle découvre
les derniers télégrammes. Et la colère se mêle à la joie. L’Italie a capitulé, mais
les Alliés ont une fois de plus tenu à l’écart la France Combattante.
De Gaulle proteste, s’interroge.
Des rumeurs font état de mouvements insurrectionnels en
Corse.
Le 9 septembre au matin, le général Giraud entre dans
le bureau. « La libération de la Corse a commencé », dit-il. De
Gaulle se maîtrise. Pourquoi le CFLN et lui-même n’ont-ils pas été informés ?
Giraud pérore. Il a rencontré ici, à Alger, le communiste
Arthur Giovoni, qui dirige l’insurrection. Un sous-marin, le Casablanca, l’a
reconduit en Corse. Les services secrets anglais ont fourni 10 000 mitraillettes.
Les troupes italiennes se sont retournées contre les 14 000 Allemands
de la division SS Reichsführer qui résistent.
« Il faut, dit Giraud, envoyer des renforts dans l’île.
Les premiers, le bataillon de choc du commandant Gambiez, vont y être débarqués. »
De Gaulle va et vient dans son bureau. Pourquoi faut-il que
ces nouvelles qui devraient soulever l’enthousiasme soient ternies par l’ombre
des manœuvres ?
Giraud a agi seul ! Giraud a laissé les communistes
prendre la tête de la Libération, avec la complicité des Anglais, sans doute
pour affaiblir de Gaulle et le CFLN.
« Je suis, mon général, commence de Gaulle, froissé et
mécontent de la manière dont vous avez procédé à mon égard et à l’égard du
gouvernement en nous cachant votre action. »
Il fixe Giraud.
« Je n’approuve pas le monopole que vous avez donné aux
chefs communistes. Il me paraît inacceptable que vous ayez laissé croire que c’était
fait en mon nom comme au vôtre. » Giraud a toujours prétendu ignorer l’imminence
de l’armistice conclu par les Alliés avec les Italiens. Or, l’insurrection en
Corse s’est déclenchée le jour de l’annonce de cet armistice. Et Giovoni en
avait arrêté la date lors de son voyage à Alger. Giraud savait donc.
« Je ne m’explique pas comment vous avez pu dire à
notre Conseil des ministres que vous ignoriez l’imminence de l’armistice
italien », ajoute de Gaulle.
Il croise les bras.
« De tout cela, je tirerai les conséquences qui s’imposent
dès que nous aurons franchi la passe où nous voici engagés. La Corse doit être
secourue au plus tôt. Le gouvernement fera ensuite ce qu’il doit pour tarir une
bonne fois la source de nos discordances. »
Tout serait plus clair s’il y avait un gouvernement derrière
un seul président. Et s’il ne fallait mener que des combats contre l’ennemi, qui
résiste à Bastia, cependant que les troupes débarquées par des navires français
le refoulent peu à peu avec l’aide des garnisons italiennes.
Le 4 octobre 1943, enfin, Bastia est libérée.
Il doit se rendre au palais d’État, saluer Giraud, commandant
en chef, le féliciter pour la manière dont il a conduit les opérations. Et, la
page des compliments tournée, il faut répéter que « les conditions dans
lesquelles ont été préparées en dehors du CFLN les opérations de toute nature
tendant à la libération de la Corse » sont inacceptables.
« Vous me parlez politique, répond Giraud sur un ton
agacé.
— Oui, car nous faisons la guerre, or la guerre c’est
une politique. »
Il faudra dans les semaines qui viennent contraindre Giraud
d’accepter les principes de la République qui subordonnent le pouvoir militaire
au pouvoir politique.
De Gaulle, quelques jours plus tard, reçoit Henri Queuille, l’un
de ces hommes politiques de la III e
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