22 novembre 1963
l’apercevoir de plus près. Elle sortit, avec sa branche de buis bénit dans la main, parlant gaiement avec une jeune femme vêtue de mauve. Elle passa à côté d’Haguenier sans le voir, ce dont il fut presque heureux. Elle avait un voile de mousseline bleue jeté sur ses cheveux, et Haguenier put voir son profil et son menton, et son long cou mince, et la boucle d’améthyste à son oreille rosée.
Il put lui parler dans les chambres de la comtesse où les dames avaient organisé une danse à figures. Elle dansait face à Henri de Bar, qui de loin paraissait très beau. Mais la danse terminée la dame de Mongenost prit la main d’Aielot et s’assit avec elle sur un banc près de la fenêtre. Alors Haguenier put s’approcher d’elle et plia le genou pour la saluer.
— Seigneur chevalier, dit Marie, j’ai une dette envers vous, car je sais que je vous ai causé du tort, bien que la faute en soit aussi à une personne qui n’a pas agi loyalement envers vous.
Vous pouvez donc me faire une demande que je m’engage à exaucer, si elle est raisonnable.
Haguenier dit : « Je n’ai rien à vous demander, dame, car vous n’avez aucune dette envers moi.
— Vous avez bien fait de répondre ainsi, dit Marie, car je parlais pour vous éprouver. En effet, je ne vous dois rien. Mais puisque vous le reconnaissez, et que nous sommes à la veille des jours de la Passion de Notre-Seigneur, je veux vous donner une preuve de ma bonne volonté à votre égard. Demain après la messe je vous recevrai chez mon amie la dame de Chesley chez laquelle je loge en ce moment. »
Pendant la messe du lundi saint, Haguenier fut donc envahi de pensées qui n’avaient rien à faire avec la Passion du Sauveur ; il attendit au sortir de l’église les dames de Mongenost et de Chesley et les accompagna jusqu’à leur maison. Ils montèrent dans une petite chambre couverte de riches tapis et assez obscure, avec une fenêtre à petits carreaux rouges et bleus. La dame de Chesley s’installa sur le lit, et Marie s’assit sur un grand siège à dossier.
« Vous voyez, mon ami, dit-elle quand Haguenier se fut installé à ses pieds sur un escabeau, que vous aviez tort de présumer de vos forces. Aussi vous avais-je imposé cette épreuve pour qu’elle vous serve de leçon. Car s’il n’est pas facile de vaincre en tournoi le comte de Bar, combien ne devrait-il pas être plus difficile de conquérir le cœur d’une femme d’honneur ? Et pourtant, vous autres hommes, vous pensez que cela peut se faire par des paroles et des chansons et des soupirs. Si vous ne combattiez les hommes qu’avec des paroles et des chansons vous passeriez à bon droit pour un lâche. Pourquoi faites-vous donc aux femmes l’injure de les croire plus faciles à vaincre que le premier soudard venu ?
— Dieu me garde de l’avoir jamais cru ! s’écria Haguenier. Vous vous trompez beaucoup sur mon compte. Si je savais un moyen d’obtenir votre amour – et quand il faudrait pour cela partir à la quête du Saint-Graal – je le ferais sans hésiter.
— En attendant, ce ne sont encore que des paroles, dit Marie avec amertume. Si vous voulez me servir, et que j’accepte votre service, sachez que je vous ferai passer par des épreuves plus dures et plus douloureuses que le coup de lance du comte de Bar ; et par celles que vous n’attendez pas, et qui pourront vous paraître ou humiliantes, ou ennuyeuses, ou ridicules. Mais je vous le dis une fois pour toutes : je n’accepterai votre service que si vous me donnez votre parole de vous soumettre à toutes mes volontés quelles qu’elles soient, sans discuter un instant, et sans que je vous promette rien en échange. Peut-être alors vous donnerai-je mon amour très bientôt, et peut-être jamais. Mais si vous ne me donnez pas votre promesse solennelle de me servir sans conditions, je ne voudrai plus jamais vous parler.
— C’est déjà fait, dit Haguenier, car cela fait longtemps que je suis vôtre sans conditions. Mais si vous le voulez, je vous le jurerai maintenant sur la croix et sur le salut de mon âme. »
Marie le regarda longuement de ses grands yeux rêveurs, et il était frappé par l’étrange sagacité, par la gravité maternelle de ce regard, et par l’expression tendre de la bouche. Et il pensait que cette femme lui était infiniment supérieure, et qu’elle devait avoir sa volonté à elle, incompréhensible comme celle de Dieu, et qu’elle savait mieux que
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