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22 novembre 1963

22 novembre 1963

Titel: 22 novembre 1963 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Adam Braver
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son escarmouche à la croisade, il savait qu’il devait tenir, dût-il en mourir après. Au début, le cordial lui avait donné une ardeur et une rapidité peu communes, mais au moment de jeter hors de la salle son deuxième adversaire, il fut au bord de l’évanouissement, comme si l’effort qu’il venait de faire avait cassé quelque chose dans sa poitrine. Il entendait encore les appels des crieurs et les exclamations qui partaient de la tribune, et le hennissement des chevaux. Mais il ne voyait plus rien. Il se mordit alors les lèvres si fort que la peau en éclata et le sang jaillit sous ses dents ; devant lui le cheval de son adversaire était retombé sur ses jambes de derrière, glissait sans pouvoir se relever, et l’homme, étourdi, cherchait à rattraper sa lance. Haguenier lui appuya la sienne sur la poitrine et l’autre fit signe qu’il se rendait. Et le reste du tournoi fut pour Haguenier une telle torture qu’il en oubliait pourquoi il se battait ainsi. Car le sang coulait sans cesse de ses narines, et de sa bouche aussi, et cela ne venait plus de la morsure qu’il s’était faite à la lèvre. Mais cette fois-ci encore, il réussit à franchir la limite de ses forces, et ce n’était pas la crainte du déshonneur qui le soutenait, ni la pensée du miroir qu’il portait au bras – car il ne pouvait plus penser à rien – mais comme le sentiment d’un devoir absolu ; comme si tout son être, jusqu’à la moelle de ses os, sentait qu’il était plus important de jeter à terre deux chevaliers rémois que de vivre.
    Il savait que ses adversaires le ménageaient et qu’il lui fallait être d’autant plus combatif, pour les forcer à l’attaquer comme il faut. Il reçut un coup sur la tête et un autre sur le bras gauche, juste au-dessus du bouclier ; mais il restait comme attaché à la selle et éperonnait son cheval si fort qu’il l’avait rendu furieux ; et la bête tournait en rond autour des chevaux ennemis, et se jetait sur eux, la bouche déchirée par le mors ; c’était un étalon vieux et bien dressé qui ne s’effrayait de rien. Et il était si intelligent qu’il avait senti dès le début que son maître n’était pas bien fort du côté gauche et, à chaque passe, il arrivait, par un léger mouvement vers la droite, à lui faire esquiver la lance dirigée contre le miroir d’acier.
    Et quand l’arbitre eut donné le signal, et que les trompettes sonnèrent l’arrêt des joutes, le miroir de Marie était intact, bien que couvert de poussière ; et Haguenier l’essuya avec le bout de l’écharpe pourpre qui ornait son casque. Et en s’inclinant devant la tribune où les chevaliers proclamés vainqueurs devaient recevoir les couronnes de fleurs des mains des dames, il chercha des yeux Marie, et dirigea sur elle le miroir, se demandant si elle pourrait se voir dedans. Mais elle n’y vit que l’éclat du soleil qui l’aveugla un moment et lui fit porter la main à ses yeux. Elle passa la couronne d’églantines à la nièce de la comtesse, qui la posa sur le heaume bosselé du chevalier : Haguenier, à ce moment-là, ne pouvait plus penser à autre chose qu’à ne pas tomber avant de quitter le champ, car la douleur de son corps dépassait déjà les limites de ses forces. Mais l’état de paix extatique où il venait d’entrer à travers la douleur pénétrait toutes ses pensées et les faisait éclater comme la graine fait éclater l’écorce usée. Il ne pensait plus à Marie, ni à lui-même, ni au devoir accompli, quelque chose d’immense comme l’univers balayait de son cœur amour et douleur et joie et tout.
    Quand il rouvrit les yeux, la première chose qu’il vit fut un visage large et mal rasé d’homme entre deux âges ; la bouche dure et lourde, les grands yeux d’un bleu trop clair exprimaient une anxiété telle qu’Haguenier fut étonné, car cette expression n’était pas à sa place sur ce visage ; c’était à cause d’elle, en effet, qu’il n’avait pas d’abord reconnu son père. Et, en le reconnaissant, il fut ému et essaya de sourire.
    « Fils de chienne », dit Herbert. Il ne put rien dire de plus, et se mit à se mordre les lèvres.
    Puis Haguenier sentit contre son visage les joues trop douces et trop parfumées d’Aielot et eut le nez et la bouche tout mouillés de larmes chaudes. Ce contact lui était pénible, le fatiguait tant qu’il croyait s’évanouir de nouveau. De bizarres chansons sans paroles

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