22 novembre 1963
guirlandes au-dessus de laquelle se trouvaient les sièges de dames. Et comme il était, parmi les nouveaux chevaliers, un des mieux équipés, il se fit d’autant plus remarquer par ce retard, et la foule, derrière l’enclos, commençait à rire : « Voyez le grand doré. Voyez le grand faisan emplumé. » Herbert, qui était au premier rang des chevaliers et notables à la gauche de la tribune, lui fit vite envoyer un cheval de réserve, que deux écuyers amenèrent dans la lice ; mais à descendre, et à remonter sur le nouveau cheval, et à se remettre en posture, Haguenier perdit un bon quart d’heure, et quand les crieurs l’annoncèrent enfin, les meilleurs chevaliers étaient déjà engagés dans le combat, et il n’avait plus guère contre lui que de petits jeunes gens mal équipés, sur lesquels il eût jugé ridicule de tourner sa lance. De ce premier accident, il avait une telle peine au cœur que tout lui semblait perdu, il eût fallu être bien fort pour ne pas s’inquiéter d’un aussi mauvais présage.
Dans la journée, il croisa sa lance avec plusieurs jeunes gens parmi les plus forts de la lice, sans arriver pourtant à en mettre un seul hors de sa selle. Il était nerveux et bien entraîné, pourtant ; mais ce jour-là seulement il découvrit son vice principal, il avait un cœur faible ; et après ces jours de jeûne, et la joie trop forte du matin de l’adoubement, et l’humiliation de la mauvaise entrée en lice, il avait des spasmes au cœur qui lui faisaient presque perdre connaissance. Il n’en montra rien, et tint bon jusqu’à la fin de la journée, lorsqu’un coup mal porté de son adversaire le rejeta de côté contre la tribune et lui démit l’épaule droite. De douleur, il ne vit plus rien et laissa tomber sa lance ; là-dessus, les arbitres les séparèrent, disant que le coup n’était pas régulier. Il eut juste le temps de voir, au-dessus de guirlandes de fleurs de pommier, deux têtes de jeunes dames aux lourdes coiffures, deux mains crispées sur un pan de manteau bleu. Les trompettes sonnaient toujours, les crieurs proclamaient les noms des vainqueurs : « Écoutez ! Écoutez ! Jacques, sire de Chassericourt, Ernaut de Vanlay, André de Tassigni ! Thierri de Baudemant ! Archambaud de Monguoz ! Ernaut de Linnières ! Robert de la Châtre ! » Et alors Haguenier se souvint de l’écharpe de sa dame qu’il avait si mal défendue, et se dit qu’il était déshonoré pour toujours.
Il se retrouva dans l’hôtel occupé par Herbert, sur un bon lit à coussins. Un médecin lui massait l’épaule, et c’était la douleur qui l’avait fait revenir à lui. Herbert se tenait debout devant le lit, bras croisés sur la poitrine. Haguenier s’attendait déjà à des injures bien méritées, mais le père dit seulement : « Eh bien, fils de chienne, on t’a bien arrangé, pour ta première joute, hein ? » Puis il passa sa main chargée de bagues sur la joue du jeune homme. « Va, dit-il, il n’est si bon cheval qui ne trébuche. J’ai bon œil, moi. Tu as ce qu’il faut pour bien faire, tout le monde me l’a dit. Ce sont des envieux qui t’auront jeté un mauvais sort. » Cette idée fut pour Haguenier comme le soleil perçant au milieu de nuages, de fait, il n’était pas d’humeur à rester triste longtemps. Il sourit à son père et lui demanda si son épaule serait bientôt remise : il pourrait peut-être se remettre à cheval pour le troisième jour du tournoi. « Diable ! Tu y vas vite. Tu en as pour cinq ou six jours au moins. Juste à temps pour rentrer à Linnières pour la fête que j’y fais. Ne bouge pas surtout, et dors. J’ai autre chose à faire qu’à m’occuper de toi. »
Le soir du troisième jour, Pierre et Ernaut étaient assis sur le lit de leur frère, tout joyeux, et lui racontaient les incidents du tournoi. Ernaut avait eu de la chance : au deuxième jour il avait même été proclamé le premier en valeur parmi la jeune équipe, il avait mis par terre six adversaires et avait porté ses armes en triomphe aux pieds d’Ida de Puiseaux, qui fut ainsi une des reines du tournoi. Et ce jour-là, Pierre lui-même était fier de son demi-frère, et son large et beau visage brun rayonnait de joie. « Hein ! disait-il, hein, comme il le leur a bien montré à tous, le mâtin ! Quand ils ont crié : Ernaut de Linnières. Hein ? J’avais cru d’abord que c’était l’autre Ernaut, de Vanlay. Et puis ils
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