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22 novembre 1963

22 novembre 1963

Titel: 22 novembre 1963 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Adam Braver
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derrière le donjon un petit jardin de six pieds carrés, qu’elle avait fait planter autour du puits ; il y poussait des églantiers, des roses d’Arabie, du jasmin ; le lierre et la vigne sauvage grimpaient sur la margelle du puits, et par terre tout était bleu de lavande. La dame avait là un banc de pierre au-dessus duquel elle faisait installer un petit baldaquin de toile jaune pour la protéger du soleil. Elle venait là pendant la sieste avec ses demoiselles ; parfois elle les faisait chanter et jouer de la vielle et leur apprenait de nouvelles chansons, car le comte de Bar lui en envoyait toujours de très jolies. Parfois elle faisait apporter son petit lutrin de bois sculpté, y installait un livre, et lisait, les coudes sur les bords du livre, les mains contre les tempes. À ces heures-là, la foudre pouvait tomber dans le puits, elle ne l’eût pas remarqué.
    Haguenier entra dans le jardinet, et les demoiselles qui jouaient à faire descendre leurs boucles de ceintures dans le puits se levèrent en riant, et en se poussant du coude les unes les autres. La dame ne remarquait pas le visiteur, et on n’osait pas la tirer trop brusquement de sa lecture. Haguenier la regardait, assise dans la lumière d’or du baldaquin, sa tête blonde penchée ; la brise jouait avec le petit voile de mousseline qu’elle avait sur sa tête, sa robe de soie d’un pourpre violet avait des reflets d’améthyste posée sur de l’or roux..
    Haguenier pensait qu’elle faisait exprès de ne pas le voir, par mépris ; les demoiselles s’étaient tues et riaient en silence en se regardant, et tout d’un coup on n’entendit plus que les oiseaux pépier dans les branches des arbres.
    Tirée de sa lecture par ce brusque silence, étonnée, la dame leva la tête et son voile lui tomba sur l’épaule. Elle avait les paupières enflées et le regard un peu sauvage de quelqu’un qu’on tire d’un rêve, ses cils battirent un peu et elle porta la main à ses yeux. Haguenier s’approcha d’elle et se mit à deux genoux, lui demandant pardon de la déranger.
    Et alors, sans savoir pourquoi elle le faisait, elle lui prit la tête dans ses deux mains et la renversa un peu en arrière pour mieux voir sa figure. Ils se regardèrent ainsi, un peu étonnés tous les deux, lui avait pitié de ces yeux enflés qui ne faisaient, semblait-il, que rendre ce beau visage plus doux ; et elle était toute troublée de ce regard où elle lisait tant de douceur et comme de la pitié.
    Puis la dame dit : « Merci d’être venu, chevalier. Vous êtes encore blessé. J’ai été folle de vous demander de rapporter cette écharpe. »
    De sa main gauche, il tira l’écharpe de son col et la tendit à la dame. Elle baissa la tête et il regardait les reflets pourpres, dans la lumière jaune de la tente, illuminer de feux roses le visage et le cou de la dame. «  Peut-on croire, pensait-il, qu’elles soient faites de même chair que nous ? Ces mains, ce ne sont pas comme de vraies mains, ce sont comme de longues fleurs de lis roses et mouvantes. D’où cela vient-il ? Et comment est-ce possible ? Qu’y a-t-il de commun entre elle et moi ? » Et son cœur se serrait.
    Marie le regardait bien en face, et elle avait la bouche tendre et le regard triste. « Je ne vous ai pas porté bonheur, dit-elle. Vous avez raison de me rapporter ce voile, car il ne vous a donné aucune joie. Allez. Et trouvez une belle jeune fille qui vous donne son voile ou sa manche, et qu’elle vous fasse vaincre partout et vous rende heureux.
    — Vous savez bien que je ne le ferai pas, dit Haguenier. Je me remets en votre pouvoir. Quand j’aurai gagné le droit de vous servir, je pourrai vous demander de m’accepter pour serviteur. »
    Elle sourit. « Vous le dites par courtoisie. Je sais qu’on dit cela à toutes les dames. »
    Il parla du mieux qu’il put pour la persuader de sa constance, et il n’en était guère besoin car Marie avait trop bonne opinion elle-même pour douter de ses paroles. Pour ce jeune homme à l’épaule blessée elle se sentait prise d’un brusque caprice, d’abord et surtout parce qu’elle croyait son accident provoqué par le comte de Bar. Elle avait pitié. Il était jeune. Et follement amoureux, elle en était sûre. Et elle lui avait porté malheur sans le vouloir. Et puis, il avait eu ce regard de pitié grave qui l’avait troublée. Bref, elle fut avec lui aussi douce qu’elle le put, lui rendit

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