Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
22 novembre 1963

22 novembre 1963

Titel: 22 novembre 1963 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Adam Braver
Vom Netzwerk:
pierres dessus pour la faire descendre plus vite. Oh ! je savais bien qu’elle était déjà morte, pourtant. Ils m’ont amené sur le bord pour que je voie ça. Et le seigneur du château et ses fils ont eu la gorge coupée aussi, parce qu’ils avaient honte d’abjurer en voyant la grande foi des femmes, on les a tous jetés en bas, tant que les pierres et les ronces sur le rocher étaient rouges de sang, et l’eau du torrent toute rouge.
    » Et moi, ils m’ont promis la vie sauve si j’abjurais. Ils m’ont crevé les yeux après. Les chiens ! » Bertrand tremblait tant qu’il ne pouvait plus parler. Ses dents claquaient, il était tout secoué par ses sanglots secs qui l’exaspéraient au lieu de l’apaiser. « Les chiens, les chiens. Ils m’ont laissé là, seul. Un mendiant m’a mené jusqu’à Cajarc et m’a appris à chanter pour demander l’aumône. Ah ! Les chiens, les corbeaux qui se repaissent de notre chair ! Puisse-t-elle leur pourrir dans les entrailles ! Ah ! mes belles fillettes ! Ah ! mes yeux, ma lumière, mes yeux qui m’ont coulé sur les joues, ah ! mes yeux. »
    Ansiau écoutait, pensif et calme ; il n’avait aucune envie de plaindre des gens assez fous pour cracher sur la croix ; bien sûr, les soldats les avaient tués, n’importe qui en eût fait autant à leur place. Mais le pauvre Bertrand lui faisait quand même pitié. Quel homme voudrait voir couper la gorge à ses enfants, fussent-elles hérétiques ?
    « Écoutez-moi, frère, dit-il. Vous savez bien que je ne laisserai pas un fils d’homme libre mendier sur les routes. Dites-moi où vous voulez aller, je ferai le chemin avec vous. Personne ne vous fera de mal.
    — Où sont vos vassaux et vos sergents, seigneur chevalier ? demanda Bertrand, sombre, et vos chevaux et vos lances et vos épées ? Vous les cachez si bien que je ne les entends pas. C’est être bien vantard que d’offrir protection quand on ne peut rien. Mais chez vous autres, gens du Nord, l’orgueil tient lieu de tout.
    — Ne le dites pas, frère. Sans moi, vous seriez déjà mort de faim.
    — Compagnon, dit Bertrand, radouci, je n’ai vraiment personne chez qui aller, à Uzès. Mon fils est à Castres avec mes frères. Il l’était du moins quand j’ai quitté le pays ; je ne sais même pas ce qu’il est devenu. Il a peut-être déjà pris les armes.
    — J’ai eu un fils, moi aussi, dit Ansiau. J’irai bien jusqu’à Castres avec vous. »
LES ROUTES ARDENTES
I
LA MÈRE
    Les étroites routes pierreuses, et le soleil de juin, si torride dès le matin que la poussière du chemin brûle les pieds à travers les semelles usées – le vieux depuis longtemps avait les pieds plus durs que de la corne, et ne sentait plus les cailloux ; mais la chaleur, peu à peu, amollissait et pénétrait la corne et causait des démangeaisons, qui, vers le soir, devenaient douloureuses comme des brûlures. L’homme qui lui pesait de tout son poids sur le bras rendait la marche encore plus pénible, les pierres encore plus chaudes. À travers le bonnet de laine le soleil pesait sur la tête, et la toile de la chemise collait au dos et aux épaules.
    Être de toutes parts écrasé par cette grande araignée de feu, être enfermé dans ce four noir. Devant, derrière, en haut, en bas, toujours la même nuit ardente, car le soleil était à présent noir à tout jamais et n’avait plus une goutte de lumière, et n’éclairait ni le ciel qui n’était plus là, ni la terre qui n’était plus qu’un bout de chemin où l’on pose les pieds. Toujours le même bout de chemin, quatre pouces. Et des haleines tout autour, des chaleurs de corps humains, relents de bêtes, jurons, bêlements, grincements de roues. Depuis Nîmes, il fallait marcher avec la foule de pèlerins et de gens du pays qui fuyaient leurs hameaux brûlés, pensant trouver asile dans les monts du Toulousain et de l’Albigeois.
    Assis sur le haut de petites charrettes pleines de paille, de ballots, de paniers, les petits enfants regardaient la foule de leurs gros yeux candides et noirs ; des pots de grès, des grappes d’oignons se balançaient entre les roues grinçantes ; ânes et mulets aux os saillants, à la peau pelée et saignante sous les cordes du harnais, avançaient lentement, et leurs yeux et leurs plaies étaient couverts de mouches que des enfants courant autour des charrettes chassaient vainement à coups de branche sèche. Les moutons s’égaillaient

Weitere Kostenlose Bücher