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22 novembre 1963

22 novembre 1963

Titel: 22 novembre 1963 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Adam Braver
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s’appellent : Ohé ! » Le vent chantait et sifflait. Un grand oiseau s’abattit par terre, aux pieds d’Auberi, lui balayant les jambes de ses ailes palpitantes. L’enfant poussa un cri et recula.
    Riquet se baissa, trancha la gorge du vautour avec son couteau, et se mit à boire le sang, à même la blessure, crachant plumes et duvet. Puis il tendit la proie toute chaude à Auberi, essuyant des deux mains sa bouche pleine de sang. « Tiens ! cria-t-il. Tiens ! Bois, c’est bon. Bois vite tant que ça coule encore ! » Et il se signa plusieurs fois, tout tremblant d’émotion.
    Ils descendaient la pente, et le vent s’éloignait. Auberi tenait dans sa main le vautour, dont les longues ailes traînaient par terre ; il souriait d’un air hébété. Riquet était tout frémissant de joie et de gratitude. « Ah ! Auberi, mon petit gars, tu vois bien que Dieu pense à nous. Nous aurons de quoi manger ce soir. » Et à partir de ce jour il ne récrimina plus contre l’homme aux yeux crevés.
    Le lendemain, ils réussirent à atteindre le château aperçu du haut de la crête. De là, avec une grosse miche de pain dans la besace, ils redescendirent dans la vallée et reprirent la route, les deux aveugles marchaient ensemble. L’homme aux yeux crevés – il dit s’appeler Bertrand – avait des plaies aux pieds, boitait et traînait la jambe, s’accrochant au bras de son compagnon. Et Ansiau s’appuyait sur son bâton, et avait sa ceinture accrochée par un lacet à celle d’Auberi, qui marchait devant pour guider.
    Sur la route, ils rejoignirent une troupe de paysans de Cajarc, qui allaient vers Uzès avec leur troupeau et leurs charrettes à deux roues traînées par des mules. C’étaient ceux-là mêmes qui étaient passés devant la fontaine aux moutons. Depuis, ils avaient pris un chemin plus court, par le défilé.
    « Braves gens, demanda Riquet, donnez du pain pour deux aveugles. »
    Mais personne ne voulait rien leur donner ; on les regardait avec méfiance. À la fin, Riquet réussit à ramasser quelques poignées de maïs et des olives. Une vieille femme lui dit que le vieux aux yeux crevés était un bien pauvre homme, mais qu’il fallait se méfier. On l’avait recueilli, au village de Cajarc, et puis les routiers étaient venus brûler les maisons ; cet homme devait porter malheur ; aussi avait-il fallu le laisser près de la fontaine. « Mais qui est-il ? demanda Riquet. — Ah ! Dieu le sait ! Nous ne ferons toujours pas route commune avec vous. »
    « Brave homme, demanda Ansiau à son compagnon, où voulez-vous que je vous mène ? Avez-vous des amis à Uzès ?
    — Où je veux qu’on me mène ? Sur le haut d’un rocher, bien au bord, et qu’on me pousse en bas. Voilà où je veux qu’on me mène, dit Bertrand.
    — Ne dites pas de folies. Connaissez-vous quelqu’un à Uzès ?
    — Je ne connais personne nulle part.
    — Vous riez de moi, dit Ansiau, un peu vexé. Bon. J’attendrai que cela vous passe. »
    Ce Bertrand était moins vieux qu’il n’avait paru tout d’abord. Il ne devait pas avoir plus de quarante-cinq ans. Son visage fin, osseux et régulier, n’avait pas encore de rides, mais ses cheveux étaient presque blancs. Ses mains avaient dû être belles et fines autrefois, et d’après son parler on l’eût pris pour quelque bourgeois aisé ou encore pour un cadet de petite noblesse citadine. C’était ce qu’il était, en fait, mais il ne voulait pas le dire, il était si méfiant, si effarouché par la moindre question, il avait une peur si visible de n’être pas cru, qu’on pouvait le prendre pour Dieu sait quel malfaiteur. Il affirmait avoir été dépouillé et aveuglé par des brigands, et quant à son pays d’origine, il évitait d’en parler.
    Ansiau lui dit : « Écoutez : je vous préviens que je vais à Marseille, et de là à Jérusalem si Dieu voudra. Je pense que vous n’avez pas envie d’aller si loin. Donc, il faut bien que je vous mène quelque part.
    — Eh ! Laissez-moi sur la route. Je ne suis ni votre frère ni votre compère.
    — Mon brave, sachez que je suis chevalier et que je ne ferais jamais une telle vilenie. Je ne peux pas vous laisser mourir de faim sur la route. Mais je peux vous mener jusqu’à un couvent où les frères vous hébergeront pour l’amour de Dieu. »
    L’autre tressaillit. « Non. Surtout pas dans un couvent. Par ici ce n’est pas sûr.
    — Eh quoi, dit Ansiau.

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