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22 novembre 1963

22 novembre 1963

Titel: 22 novembre 1963 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Adam Braver
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sur les pentes le long de la route, broutillant l’herbe déjà brûlée et toute jaunie. Les femmes pauvres portaient leurs enfants sur le dos ou au sein, attachés dans un maillot, quelques-unes leur donnaient le sein, tout en marchant, pour les empêcher de crier. Les hommes, armés de faux et de fourches, protégeaient les charrettes, car il ne manquait jamais de pillards dans la montagne ; et les jeunes garçons montaient à tout moment sur la pente voisine ou sur un arbre pour voir si là route était libre. On disait que des routiers licenciés rôdaient dans le pays.
    Après Quissac, à la croisée des chemins, une partie des paysans prit la route du nord, quelques mendiants rencontrés en chemin leur ayant dit que des soldats remontaient la vallée de l’Hérault. Derrière Saint-Hippolyte, le ciel était rouge, le maquis brûlait ; des châteaux dévastés les femmes et les enfants descendaient vers la route, ballots et cruches sur le dos – sur le talus des blessés étalaient leurs plaies purulentes et tendaient les mains pour du pain et un peu d’eau. Et il fallait passer vite, avant que le feu descendît vers la route, car le mistral se levait, jetant sur les pèlerins des bouffées d’air chaud et de fumée.
    Debout dans un petit groupe de fuyards couchés près de la route, une jeune fille aux cheveux défaits d’un blond terne chantait une complainte d’une voix aiguë, monotone comme un chant d’oiseau. Sa courte robe brune était si déchirée qu’elle ne pouvait guère cacher un sein sans découvrir l’autre, et ses pieds nus étaient violets et enflés. Une grande femme en coiffe grise était assise près d’elle, tête basse, bras ballants.
    « La belle fille, dit Riquet, ne reste pas ici, viens avec nous si tu ne veux pas être ramassée par les écorcheurs. »
    La fille le regarda de ses larges yeux noirs et vides.
    « Du vin, mon bon seigneur. Une goutte de vin pour ma mère. » Les deux aveugles s’étaient arrêtés, et Auberi dévorait la jeune fille de ses yeux admiratifs et apitoyés. « Oh ! dis-lui de venir, Riquet, dis-lui !
    — J’attends les soldats, dit la fillette. Pour avoir du vin.
    — J’ai du vin dans ma gourde. Viens, rossignol. Il ne faut pas que tu restes ici. »
    Docile, l’enfant aida la femme à se lever et suivit Riquet. La femme marchait lentement, d’un pas régulier, s’appuyant sur un bâton d’une main, et serrant l’autre main contre sa poitrine. Et la jeune fille allait à ses côtés d’un pas leste, sautillant, et sa chair blanche et jeune brillait entre les longs lambeaux de sa robe déchirée. Ses yeux fendus en forme de noyaux de pêche avaient l’inexpressive candeur des yeux de jeunes bêtes, mais sa petite bouche couverte de croûtes était grave et triste. Depuis ce jour, la mère et la fille partagèrent le maigre repas des quatre pèlerins.
    Elles étaient de la Cadière, qui venait d’être brûlée par les routiers. La mère était très malade, car on lui avait coupé la langue et les deux seins ; la fille n’avait été que violée. Elles ne savaient où aller, autant valait faire route avec les autres jusqu’à une ville où elles seraient à l’abri.
    Il y avait dans la foule des pèlerins riches, deux marchands et un abbé bénédictin monté sur un beau mulet en housse et en harnais à clochettes ; il avait trois moines pour l’accompagner, et deux soldats. Il allait à Carcassonne et avait fait à Nîmes provision de biscuits et de vin, et ses soldats devaient chasser à coups de lance les mendiants qui s’accrochaient aux mulets. Mais Riquet, sa pitié devenant plus forte que la honte, avait réussi à apitoyer un des moines, en lui confessant qu’il était clerc, quoique défroqué, et le moine lui tirait parfois un peu de vin de sa gourde et lui mettait quelques biscuits dans la besace.
    Et après, fier de son butin, il revenait vers ses compagnons ; le vin était partagé entre la femme et Bertrand, les plus malades ; les autres étaient déjà bien assez contents quand ils avaient de l’eau. « Du reste, disait Riquet, boire en route alourdit les jambes. » Mais la femme – personne ne savait ni ne demandait son nom, on l’appelait simplement la Mère – tendait la main vers la gourde de Riquet vingt fois par jour ; elle ne buvait du reste qu’une gorgée à la fois, et la gardait longtemps dans la bouche ; elle était très calme, et marchait toujours de son pas monotone, ne

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