4 000 ans de mystifications historiques
vertige.
Aurait-il menti ? On lui conserve cependant le crédit d’avoir, par exemple, été le premier à décrire les plateaux du Pamir, dont l’Occident ne connaissait alors ni l’existence ni le nom, après avoir gravi l’Oxus et être descendu jusqu’à l’Arkand et au Khotân.
On commença alors à soupçonner que Le Livre des merveilles était un compendium , un digest dirait-on de nos jours, de récits d’autres voyageurs, réalisé non par Marco Polo lui-même, mais par le douteux Rustichello ou Rusticiano de Pise. Il disait ainsi être entré au service de Kublai Khan et avoir été nommé gouverneur de Yangshow. Sans parler ni écrire mongol ? Ni mandarin ? C’était plus que douteux. Car le fait est que, au terme d’un séjour en Chine de tant d’années, Marco Polo ne parlait pas un traître mot de ces langues.
Un autre épisode fleurait un peu trop le récit hagiographique : émerveillé par la rencontre des premiers Européens qu’il eût jamais vus, Kublai Khan les aurait renvoyés en Europe avec une lettre patente, réclamant au pape Clément IV des hommes instruits, pour enseigner le christianisme et les arts libéraux à ses sujets. Passons sur la lettre patente, dont on se demande comment le pape l’aurait déchiffrée et dont on ne trouve d’ailleurs pas trace dans les archives du Vatican ; mais la requête de missionnaires et de professeurs faite par le Mongol reflète un « européo-centrisme » douteux. Il n’y manque que le baptême du khan.
Des preuves existent démontrant que les Polo n’étaient pas les premiers étrangers que rencontrait le khan et qu’il existait en Chine des communautés turques, persanes et autres – musulmanes, nestoriennes (c’est-à-dire chrétiennes), manichéennes, zoroastriennes et juives. Quoi qu’il en fût, Marco, son père et son oncle auraient rebroussé chemin pour satisfaire à la demande du khan. Mais, quand ils arrivèrent à Acre, en territoire ottoman de Palestine, en 1269, ils apprirent que Clément IV était mort et que son successeur n’avait pas encore été désigné. Quand celui-ci le fut, il ne leur consentit que deux dominicains, avec lesquels ils reprirent le chemin vers Cathay. Mais les deux religieux s’en seraient retournés, on ne sait pourquoi. Le Vatican aussi envoyait déjà des missionnaires en Asie du Sud.
Les Polo demeurèrent deux ans à Acre, ce qui paraît bien long, et quand ils reprirent le chemin de Cathay, en 1271, ils se dirigèrent vers Hormuz, à l’embouchure du golfe Persique, projetant d’atteindre la Chine par voie de mer. Mais ils changèrent d’avis et remontèrent vers le nord par voie de terre et gagnèrent la Perse. Quatre ans plus tard, ils étaient chez le grand khan, à Singtu.
Là, le jeune Marco se serait distingué en parcourant la Chine dans tous les sens, faisant au khan des rapports sur les tribus qui, paraît-il, intéressèrent vivement le monarque. Il faudrait croire que le potentat aurait attendu le Vénitien pour être informé sur ses sujets, ce qui est douteux. Et il est permis de se demander en quelle langue ces rapports étaient rédigés.
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Quand on suit sur une carte ces périples, gardant en mémoire les conditions de voyage de l’époque, on en est étourdi. Cela représente des dizaines de milliers de kilomètres.
Et, pourtant, plusieurs de leurs indications cartographiques, comme celles de l’Inde, sont à peu près correctes. Dès le XIX e siècle, on flaira la fabrication : non contents de piquer dans d’autres récits de voyages, Marco Polo et son rédacteur de Pise avaient extorqué des informations à d’autres voyageurs, y compris des données géographiques. De surcroît, une main inconnue ajouta ensuite des informations prises à d’autres auteurs, postérieurs.
Il faut rappeler à ce propos que, en dépit de l’hostilité déclenchée par les croisades, les Vénitiens avaient été les seuls à conserver des relations commerciales avec les musulmans ; les Polo frayaient donc avec des marchands arabes dont ils étaient plus à même de comprendre les récits que le chinois. La raison de leur halte de deux ans à Acre s’explique bien plus par des raisons commerciales que par l’attente de missionnaires délégués par le nouveau pape.
Au XX e siècle, l’œil des spécialistes se fit plus pointu : Marco Polo n’avait jamais introduit en Europe la poudre, le compas de marine ni l’imprimerie. Pas même les macaronis, le blé
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