4 000 ans de mystifications historiques
distingue-t-elle ?
Après la désastreuse bataille de Crécy, en août 1346, où la chevalerie de Philippe VI se fit décimer par une arme nouvelle, l’artillerie, et par les archers gallois, Édouard III d’Angleterre fit le siège de Calais. La ville résista héroïquement un an, mais en août 1347, son maire, Eustache de Saint-Pierre, et trois bourgeois de la ville, Jean de Fiennes, Andrieu d’Andres et Jean d’Aire, allèrent, en chemise, pieds nus et « la hart au col », solliciter du roi d’Angleterre la grâce de la ville. Leur mise était un peu théâtrale, il est vrai, mais elle était destinée à apitoyer le vainqueur. De fait, Édouard III, irrité par la longue résistance de Calais, songea un moment à les faire exécuter, mais attendri par son épouse, Philippa de Hainaut, il leur fit grâce. Les Calaisiens quittèrent leur ville, qui fut repeuplée par des Anglais, mais – on l’apprit bien plus tard – Eustache de Saint-Pierre, lui, résolut d’y rester et de servir le roi d’Angleterre.
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L’épisode fut rapporté par le célèbre chroniqueur Jean Froissart, protégé de la reine Philippa et de bien d’autres cours (dont celles de Danemark, d’Aragon, de Navarre, de Lancaster, de Brunswick, de Bavière…). Il en fit un épisode édifiant, où cinq hommes s’étaient dévoués pour sauver leur ville et avaient été eux-mêmes sauvés par une reine compatissante ; au XVIII e siècle, ce récit devint un apologue patriotique et, selon les termes de Dormont de Belloy, « la première tragédie française où l’on ait procuré à la nation le plaisir de s’intéresser à elle-même ». L’emphase était déjà démesurée ; c’était une histoire de siège comme il y en eut des dizaines pendant la guerre de Cent Ans et la nation, au sens moderne de ce mot, n’y avait rien à voir. En fait, Édouard III avait dû sa victoire à un seigneur breton, Geoffroy d’Harcourt, qui lui avait facilité le débarquement à Saint-Vaast-la-Hougue ; le duché de Bretagne n’appartenait alors pas au royaume des Valois, et Geoffroy d’Harcourt aurait été scandalisé, à juste titre, d’être accusé de trahison.
Un érudit faisant des recherches à la Tour de Londres avait découvert en 1766 qu’Eustache de Saint-Pierre n’était pas du tout l’ardent patriote ennemi des Anglais et qu’il était donc resté à Calais pour servir le roi d’Angleterre. Rien n’y fit. Le mythe avait pris son envol, et la III e République l’amplifia. Les bourgeois de Calais revêtirent les dimensions de martyrs héroïques de la nation, voire celles d’adversaires des Anglais : l’Entente cordiale était alors loin sur l’horizon et l’Angleterre était qualifiée de Perfide Albion. Au cours des décennies suivantes, les bourgeois de Calais entrèrent dans l’imaginaire national et, même, furent immortalisés dans le bronze par Rodin en 1895.
1351
Les voyages de Marco Polo,
ou le livre des élucubrations
La plus ancienne copie existante du Livre des merveilles , l’ouvrage qui pendant des siècles fit rêver monarques et voyageurs d’Occident, date de 1351. Il est rapporté qu’un siècle et demi plus tard Christophe Colomb en emporta une autre lors de son fameux voyage vers l’Ouest, qu’il lisait tous les soirs à bord du Santa Maria.
À cette époque, le « noble gentilhomme » Marco Polo, nobile vir , comme il se qualifiait lui-même, était mort : né en 1254, il avait juste achevé sa soixante-dixième année en 1324, avant d’aller dormir sous les dalles de l’église de San Lorenzo, à Venise.
Le Livre des merveilles aurait, selon la tradition historique, ouvert les yeux de l’Occident sur l’existence de régions ignorées. Certes, des routes commerciales reliaient le monde méditerranéen avec l’Orient et le sud de l’Asie depuis au moins le II e siècle av. J.-C., et le Vatican envoyait couramment des missionnaires en Chine du Sud. Et, contrairement à ce qui a parfois été avancé, l’Europe savait qu’il existait de vastes contrées à l’est ; on les désignait sur les cartes par la mention Hic sunt leones , « Là, il y a des lions », pour signifier qu’on n’en savait pas grand-chose. Mais, en plus de ses descriptions extraordinaires et originales, telles que celle du terrifiant désert de Gobi, qu’il appelle Lop-Nor, ou du Pamir, Marco Polo excita les imaginations par le récit de ses mirifiques aventures à la cour splendide du
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