4 000 ans de mystifications historiques
capitaine Robert de Baudricourt, afin de se présenter au roi.
Prend alors place l’un des entretiens les plus invraisemblables de toute l’histoire : cette bergère lorraine, qui ne connaît apparemment rien à l’art militaire ni à la politique, serait venue de son village de Domrémy pour convaincre Charles de sa légitimité et, dit-elle, le faire sacrer roi à Reims. Le caractère miraculeux de l’épisode l’a propagé aux sommets de l’imagerie historico-religieuse et, depuis des décennies, les historiens s’évertuent à en déchiffrer le sens. Ainsi, pour l’historien Jules Michelet, Jeanne d’Arc préfigure l’émergence du peuple et la naissance de la France, tandis que, pour les hagiographes chrétiens, la piété et la virginité de la Pucelle d’Orléans seraient les marques de sa sainteté prédestinée et la preuve de la sollicitude divine pour la France, future « Fille aînée de l’Église ».
Incidemment, « pucelle », comme le latin puella dont il est issu, signifie alors « jeune fille », et non spécifiquement « vierge ». Car on suppose à l’époque qu’une jeune fille est nécessairement vierge.
C’est l’un des exemples les plus probants de la fabrication d’un mythe. L’analyse des éléments et des faits en atténue sensiblement l’aspect miraculeux. Si on l’établit à partir des récits traditionnels, la conclusion est déjà alarmante : l’histoire tient difficilement debout. Si l’on s’appuie sur des faits généralement occultés par les historiens, même les plus réputés, elle s’effondre dans un nuage de poussière : Jeanne d’Arc n’aurait jamais existé. Efforçons-nous d’abord d’interpréter l’histoire selon cette tradition.
Que Jeanne ait, à partir de treize ans, entendu des voix et eu des visions – qu’elle dit être celles des saintes Catherine et Marguerite (pourquoi celles-là, le point est important, on le verra plus loin), vêtues comme des reines et couvertes de bijoux, parfois précédées par une vision de saint Michel –, nous n’avons que son témoignage pour le croire. Les cas d’hallucinations ne sont cependant pas exceptionnels chez des jeunes filles en période de puberté, comme en témoigne la littérature psychiatrique. Le caractère somptueux des visions atteste cependant qu’elles sont produites par l’imagination de Jeanne car les saintes, autant qu’on sache, ne montèrent pas au ciel avec leurs parures et leurs joyaux. Elle n’est pas démente pour autant : ses hallucinations ne feront que renforcer sa détermination. Relevons toutefois qu’elles ne concernent pas la délivrance d’Orléans ; son obstination à repousser le siège anglais est de son fait.
Sa détestation des Anglais, elle, n’est pas imaginaire : l’année précédente, elle a vu les horreurs de la guerre quand Antoine de Vergy, gouverneur de Champagne, donc sous les ordres des Anglais, a fait brûler Domrémy pour pacifier une population qui s’agitait trop à son gré.
C’est ce souvenir qui fortifierait sa résolution à se battre contre les Anglais et pour la cause du seul homme qui s’oppose alors à eux, le dauphin Charles, dont elle a sans doute déjà entendu parler. Elle tente d’abord d’en convaincre le capitaine de la place forte de Vaucouleurs, proche de Domrémy, favorable au dauphin ; peine perdue, il la prend pour une délirante. Mais elle séduit un de ses écuyers, Jean de Metz, qui lui prête des habits d’homme.
Cette obsession de Jeanne à vouloir se déguiser en homme est plus que bizarre : le travestissement est à l’époque un délit grave et l’on se demande pourquoi Jean de Metz y aurait consenti. On conviendra en tout cas que la bêlante bergerette est une fiction ridicule : Jeanne est une gaillarde dotée d’un solide aplomb pour aller tancer le capitaine d’une place forte, afin qu’il coure avec ses hommes au secours d’un dauphin sans avenir prévisible, sous prétexte qu’elle a eu des visions.
Là ne s’arrêtent pas les invraisemblances. Il faut que Jeanne ait disposé d’un argument sans appel pour que le duc Charles II de Lorraine ait cédé à ses exhortations et qu’il lui ait même envoyé un sauf-conduit pour qu’elle le rejoigne à Nancy. Elle le convainc là-bas de la nécessité d’aller parler au dauphin et même de lui assigner son gendre René comme escorte. Puis elle retourne à Vaucouleurs, afin de persuader une fois de plus Robert de
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