4 000 ans de mystifications historiques
inutile : Napoléon, on l’a vu, avait été rasé avant d’être inhumé ; la mèche, elle, avait été prélevée sur le cadavre de Cipriani, lequel s’était effectivement suicidé à l’arsenic.
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Cette stupéfiante imposture demeura intacte jusqu’en 1969 : Georges Rétif de la Bretonne publia un ouvrage intitulé Anglais, rendez-nous Napoléon (29) , dans lequel il relevait quelques-unes des contradictions flagrantes entre les données de l’inhumation de l’Empereur et celles de l’exhumation de 1840. Des experts, jaloux de leur chasse gardée, s’empressèrent d’y relever quelques inexactitudes mineures. En effet, les historiens non académiques sont par principe exclus des débats. En 2000, Roy-Henri excipa de son grade de capitaine de réserve pour demander au ministère de la Défense une analyse ADN, non du cadavre des Invalides, mais d’un fragment de peau prélevé par le médecin légiste de l’expédition de 1840. Ce fragment, en effet, a été remis par les descendants de l’Empereur au musée de l’Armée. C’était bien moins coûteux que d’ouvrir le sarcophage des Invalides et d’en retirer le corps. Mais le ministère trancha en 2002, arguant que « les théories qui remettent en question l’identité du corps inhumé dans le porphyre des Invalides ne revêtent pas, pour l’instant, un caractère suffisant ».
Des arguties sans fin sur les contradictions entre les procès-verbaux des témoins permirent de sonder une fois de plus les profondeurs de l’incompétence sinon de la mauvaise foi dont certains esprits sont capables en présence des évidences. Ainsi, pour « expliquer » que le cadavre exhumé était remarquablement conservé, alors que celui de Napoléon était déjà en cours de décomposition, certains experts arguèrent, au défi de toute la science médico-légale, que le confinement hermétique dans un cercueil clos avait pu arrêter la décomposition. Confondaient-ils confinement et congélation ? Sans doute avaient-ils découvert à cette occasion les capacités de « rajeunissement » d’un cadavre par le confinement.
Quand se serait opérée la substitution des cadavres ? La date qui semblerait la plus vraisemblable serait 1828, année d’un retour de Hudson Lowe et peut-être d’O’Meara à Sainte-Hélène.
Et où reposerait le véritable cadavre ? S’il fut conservé, dans son cercueil originel, il serait sans doute au frais dans une crypte de Westminster, comme le craignait Napoléon lui-même : « La seule chose à craindre est que les Anglais veuillent garder mon cadavre et le mettre à Westminster » (confidence du 27 mars 1821 au général Bertrand).
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Cette mystification, d’autant plus obstinée qu’elle s’est incrustée depuis plus d’un siècle et demi, se double d’une autre, encore plus rocambolesque : c’est celle des masques mortuaires de Napoléon. Elle comprend tant d’épisodes, de rebondissements, d’intrigues et de subterfuges, qu’il faudrait un volume entier pour les retracer. Ainsi l’ont fait Eugène de Veauce (30) et Roy-Henri, déjà cité. Nombre de ces avatars sont dictés par la malhonnêteté intellectuelle, la duplicité et parfois le désir de flatter la mémoire de l’Empereur.
Résumons l’affaire : il existe deux types de masques de Napoléon ; ils n’ont aucun rapport l’un avec l’autre. Un type est représenté par un exemplaire unique et il se trouve au Royal United Service Museum à Londres ; de face, il est rond, avec un visage empâté, flétri par la souffrance et amer ; il correspond en tous points aux descriptions des familiers de l’Empereur, celles d’un homme d’âge mûr, usé par la maladie et l’humiliation de l’exil. L’autre type, dont on vendait encore des répliques sur les quais de Paris, dans les années 1950, est celui d’un homme d’une trentaine d’années, au visage maigre, à la bouche entrouverte, qui évoquerait plutôt le célèbre tableau de Bonaparte au pont d’Arcole. Il est bien plus séduisant. Il en existe onze variantes en cire et en plâtre dans plusieurs collections, dont certaines ont été réalisées par le Dr Antommarchi, praticien aussi douteux que le Dr O’Meara, son confrère à Sainte-Hélène dans les dernières années de l’exilé impérial.
Ce second type est celui de Cipriani, dont un moulage mortuaire avait été également fait. Une copie en fut subtilisée par l’épouse du général Bertrand et
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