4 000 ans de mystifications historiques
comme une révélation : les races existaient donc et la blanche était la première et la seule capable de diriger le monde, mais à la condition de mettre fin à ses coupables croisements avec des races inférieures.
L’idée perdura et ceux de nos lecteurs qui auront fait leurs classes élémentaires avant la Seconde Guerre mondiale, ce qui est notre cas, se rappellent sans doute ces cartes du monde où les quatre races occupaient des espaces dûment coloriés : rouge, noir, jaune et blanc. Bien que déjà inventée, la « race juive », elle, ne pouvait encore figurer dans les atlas.
La biologie a démontré depuis qu’il n’existe que des ethnies dont les caractères spécifiques sont dus à l’évolution et à l’adaptation au milieu et ne peuvent être considérés comme « supérieurs » ou « inférieurs ». L’archéologie, elle, a démontré que le haut degré de développement culturel et scientifique au Moyen Âge de la civilisation chinoise ne doit rien à d’hypothétiques envahisseurs indiens, et Gobineau n’eût même pas pu répandre ses prétentieuses coquecigrues si, à Byzance, au XV e siècle, un marchand n’avait acheté (ou volé) à un commerçant coréen, puis ramené en Europe une invention révolutionnaire, l’imprimerie à caractères mobiles, ensuite attribuée à Gutenberg.
La biologie a également démontré que, contrairement à ce que professaient et professent encore les racistes, les croisements à l’intérieur d’un même groupe entraînent au cours des générations un appauvrissement du stock génétique et un accroissement de fréquence des maladies héréditaires.
Mais l’ornière que Gobineau avait approfondie dans les esprits s’étendit bien au-delà. La conviction de la supériorité de la « race » blanche était si profondément ancrée dans la culture occidentale qu’elle constitua l’argument principal dans la défense du colonialisme. En 1859, lors d’un débat sur le colonialisme, Jules Ferry déclara ainsi : « Les races supérieures ont des droits, parce qu’elles ont des devoirs, le droit de civiliser les races inférieures. »
Au début du XX e siècle, quelques scientifiques égarés s’avisèrent de quantifier et numériser les « données raciales », tandis que d’autres, tel Alexis Carrel, prônaient l’eugénisme comme méthode de maintien de l’intégrité raciale. Dans les années 1930, les anthropologues du III e Reich, accommodant à leur sauce frelatée les travaux de Broca et de Lombroso, s’armèrent de leurs fameux compas, afin de mesurer les proportions crâniennes des vrais Aryens, cependant que les administrations traquaient les traces d’impureté raciale chez les citoyens.
Le racisme à prétentions scientifiques allait valoir à l’Occident quelques-unes de ses années d’imbécillité les plus fumantes, en attendant l’infamie. Le concours de scientifiques pendant plus d’un siècle prêta à cette imposture l’apparente dureté de la vérité implacable et, de la ségrégation des Noirs américains à l’apartheid de l’Afrique du Sud, il influença la politique étrangère et intérieure des États.
Comme il advient trop souvent en histoire, le mythe avait engendré l’imposture.
1854
La charge de la brigade légère,
ou les lauriers de La stupidité
Les Anglais sont certainement plus familiers que leurs voisins européens de l’un des épisodes les plus célèbres de la guerre de Crimée, la charge de la brigade légère, dite aussi charge de la Balaklava, bien qu’ils n’en soient guère dupes. Grâce à une fulminante mystification, ce désastre fut transformé en glorieux épisode militaire. Le poète lauréat Alfred Tennyson lui consacra un poème épique et le compositeur Franz von Suppé, une ouverture non moins tonitruante.
Lors de cette guerre, l’une des celles qui se succédèrent de façon quasi ininterrompue dans l’histoire de l’Occident depuis la fin de l’Empire romain, les Anglais, les Français et les Turcs s’étaient alliés contre les Russes et faisaient le siège de Sébastopol. Les Russes, sous le commandement du général Liprandi, avancèrent le 25 octobre et prirent le contrôle de la chaîne des monts Vorontsov, jusqu’alors occupés par les Turcs, et des vallées qui se trouvaient de part et d’autre. La division de cavalerie anglaise commandée par lord Lucan, se trouvait alors dans la plaine au sud de ces monts, dite plaine de la
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