4 000 ans de mystifications historiques
envoyée à la mère de Napoléon après la mort de ce dernier. En effet, les fidèles de l’Empereur déchu n’avaient pas jugé « convenable » d’adresser à la famille impériale un dernier souvenir aussi méconnaissable que le masque original.
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Qu’adviendrait-il, se demandera-t-on, si la monumentale supercherie était enfin dénoncée ? Il est probable qu’en France un mouvement d’opinion attiserait pendant quelque temps les archaïques préjugés anglophobes qui surnagent çà et là dans les tranches les plus âgées de la population. Il est surtout certain que les faux prétextes et les hypocrisies de générations de responsables de la dépouille impériale seraient dévoilés, et que la réputation de ces derniers en souffrirait pour bien plus longtemps.
Il faudrait alors retrouver la véritable sépulture de l’Empereur et, une fois de plus, procéder au transfert de la dépouille. Périlleuse entreprise, qui ne rehausserait pas le prestige des gouvernants ni de l’un ni de l’autre côté de la Manche.
1853-1855
La funeste billevesée du racisme « scientifique »
Les années 1853-1855 sont à marquer d’une pierre noire dans l’histoire des aberrations intellectuelles : ce sont celles qui virent la publication de l’ouvrage qui fut le point de départ du racisme « scientifique », en réalité d’un vieux préjugé qui se parait des oripeaux de la science, du moins telle qu’on l’entendait au XIX e siècle et dans la première moitié du XX e siècle – mais il perdura bien au-delà.
Le titre de cet ouvrage était un programme : Essai sur l’inégalité des races humaines . Les titres de l’auteur, Joseph Arthur, comte de Gobineau (1816-1882), diplomate et grand voyageur, lui conféraient l’autorité qui seyait à un aussi vaste sujet. Pour lui, le « génie d’une race » dépendait peu de l’époque, des circonstances et du climat. Il était donc absurde de soutenir que tous les humains pouvaient prétendre au même degré de « perfection ». Phraséologie totalement dénuée de sens, étant donné que, scientifiquement, il n’existe pas de races humaines, tous les humains étant interféconds. Quant au « génie » d’une race, il appartient au magasin rhétorique du temps.
Ce fut un best-seller avant la lettre ; il figura pendant plus d’un siècle dans toutes les bibliothèques d’esprits distingués ou qui croyaient l’être. Son succès et son influence s’expliquaient par le fait qu’il confortait, avec toutes les prétentions de la science et de l’histoire, la xénophobie innée et les idées reçues en matière de races. Ce qui illustre incidemment les périls des best-sellers. Ethnologue amateur, se piquant de déchiffrer l’écriture cunéiforme et d’interpréter les résultats de fouilles, Gobineau présenta donc son ouvrage comme la clé qui avait échappé à tous les historiens et qui expliquait enfin le triomphe de la race blanche : celle-ci était la seule capable de développer une culture, mais elle était épuisée parce qu’elle n’avait pas su préserver sa pureté, compromise par de trop nombreux métissages.
Fort de son seul dogmatisme, il prétendit « expliquer », par exemple, l’ancien et haut développement de la culture chinoise par l’arrivée de tribus venues de l’Inde, les Kschattryas, caste de brahmanes qui auraient conquis la Chine et apporté avec eux un savoir suprême. Invention digne du Voyage dans la Lune de Cyrano de Bergerac et inspirée par le seul fait que les Kschattryas auraient été des Aryens, première race supérieure pour Gobineau comme elle le serait pour d’innombrables théoriciens ultérieurs du racisme. Incidemment, Gobineau radotait, car lesdits Kschattriyas n’étaient pas des brahmanes, mais des guerriers et ils furent exterminés par les brahmanes. Et, est-il besoin de le préciser, il n’y eut jamais de conquête de la Chine par les Kschattryas, caste hindouiste qui, si elle avait jamais régné sur l’empire du Milieu, y aurait imposé l’hindouisme.
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Ce salmigondis de notions à demi cuites et mal digérées, assaisonné de fadaises, impressionna les ignorants. Eût-il vécu au temps du III e Reich ou à notre époque, Gobineau aurait sans doute été contrarié par le fait que les tziganes, exterminés par les nazis et qui ont récemment fait l’objet de mesures discriminatoires, viennent de l’Inde et sont donc des Aryens. Mais l’ Essai fut accueilli
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